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peu sympathique aux principes de 1815; il invoquait les répugnances du comte de Bismarck et de lord Stanley, qui, pour colorer leur refus, s’empressaient de se retrancher eux-mêmes, peu généreusement, derrière les hésitations italiennes. Le cabinet de Florence avait basé sa politique sur une entente cordiale avec la France ; peut-être eût-il été mieux inspiré en nous faisant résolument part de ses scrupules avant de les exposer ailleurs. De franches explications avec le cabinet des Tuileries eussent mieux valu que des pourparlers échangés, à son insu, avec Londres et Berlin. Il fallait laisser à M. Nigra le soin d’enlever à M. de Moustier les espérances dont il se berçait trop volontiers, plutôt que de s’en remettre à M. de Bismarck, au prince Gortchakof et à lord Stanley. Mais, accusé de marcher à la remorque de la France et soucieux du parlement, le général Menabrea, peu à peu, s’était éloigné de nous : il avait exagéré « sa réserve. » Forcé de pencher à gauche et de ménager le parti d’action qui avait exercé une si funeste influence sur son prédécesseur, il allait bientôt, en cédant aux passions nationales et sous la pression de la majorité, allouer des secours aux volontaires, étouffer l’action de la justice, élargir Garibaldi et se prêter à une amnistie générale. M. Menabrea, comme tous les ministres italiens, était voué à l’indulgence; il ne pouvait condamner ceux qui se sacrifiaient pour une cause qui lui était chère et qu’affirmait sa diplomatie. Tous les politiques italiens avaient le même programme, tous voulaient Rome pour capitale; ils étaient plus ou moins de connivence avec Garibaldi, sauf à le désavouer et même à l’arrêter lorsqu’il ne réussissait pas ; il y avait pour « le héros des deux mondes, » disait-on, une prison spéciale qu’on rouvrait dès que le danger était conjuré.

M. de Moustier était autorisé à se préoccuper des méandres de la politique italienne, à relever les contradictions entre le langage que M. Nigra tenait à Paris et celui que M. D’Azeglio et M. de Launay tenaient à Londres et à Berlin ; mais il manquait à l’équité en faisant un crime au gouvernement du roi d’une évolution qui lui était commandée par ses exigences intérieures. On ne fait de bonne politique que lorsqu’on sait se placer au point de vue des puissances avec lesquelles on traite et qu’on a l’esprit assez large pour faire une part équitable à leurs intérêts et même à leurs passions. Demander à un gouvernement de prendre plus d’engagemens qu’il n’en peut tenir est une faute.

M. de Moustier avait beau écrire et télégraphier avec une infatigable ardeur, il s’usait en vains efforts. Son œuvre, comme nous le disait le comte de Bismarck, « était frappée de stérilité. » Le chancelier fédéral avait donné la note, et tout le monde, avec des intonations plus ou moins sonores, s’était mis à son diapason. L’Europe