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la réserve a cela de particulier, c’est qu’elle ajoute à la confiance. »

Le comte Menabrea était la loyauté même, il ne sacrifiait pas à la ruse, sa politique était celle « de la réserve ; » mais en politique il n’est pas toujours aisé, lorsque les situations sont complexes, de concilier strictement les actes avec les déclarations. S’il est des engagemens qu’un gouvernement ne saurait méconnaître à moins de se discréditer, un homme d’état qui défend les intérêts mobiles d’un pays manquerait à sa mission s’il restait l’esclave de paroles souvent précipitamment échangées, alors que le gouvernement avec lequel il traite subit lui-même des exigences qui l’obligent à modifier son point de vue. Lorsque le comte Menabrea, après la chute de M. Rattazzi, prit en main le pouvoir, l’Italie était sous l’émotion de Mentana, elle se voyait abandonnée par la Prusse et par l’Angleterre, qui l’avait encouragée ; elle donnait à l’Europe un affligeant spectacle, ses destinées étaient en question, car on se demandait à Paris, ulcéré de son ingratitude, s’il ne serait pas prudent de revenir au traité de Zurich. L’hésitation n’était pas permise, le programme du nouveau cabinet était tracé par la force des choses; il lui imposait une prompte et sincère réconciliation avec la cour des Tuileries. Ne pas adhérer au congrès, c’était offrir aux adversaires de l’Italie, à Paris, un puissant argument pour agir sur l’esprit flottant de l’empereur et le pousser aux résolutions violentes. M. Menabrea, par l’organe de M. Nigra, adhéra au congrès sans restrictions, avec un chaleureux empressement ; il pouvait le faire sans trop engager sa politique, car il espérait n’affronter l’épreuve qu’en parfait accord avec le gouvernement impérial. Il lui était permis aussi de croire que Pie IX, retranché derrière son inflexible Non possumus, déclinerait notre invitation et protesterait contre toute contrainte morale. Le gouvernement italien ne devint hésitant que lorsqu’il vit la France se refuser à des explications et qu’il apprit que le pape, qui pressentait peut-être sa tactique, apparaîtrait au congrès pour y défendre ses droits. L’adhésion de la cour de Rome le déroutait. C’était un fait nouveau d’une portée considérable; le pape, qui avait refusé de paraître au congrès de 1863, sortait de la situation privilégiée supérieure, dans laquelle il s’était renfermé obstinément, pour repousser toute transaction ; pour la première fois, il reconnaissait la compétence de l’Europe, il se mettait sur le même rang que les autres souverains. Il est vrai qu’il ne s’engageait à rien en déférant au désir de la France, qui venait de le sauver. Décidé à ne rien concéder, il comptait uniquement saisir l’occasion pour affirmer les droits qu’il tenait de Dieu et pour revendiquer à la face de l’Europe les provinces dont il avait été dépouillé au mépris du traité de Vienne. Son secrétaire d’état prévoyait, d’ailleurs, qu’il