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en principe sans se compromettre, car en diplomatie, adhérer en principe est une manière polie de refuser. Quant à l’Italie, jamais elle n’a désiré un congrès; si elle vous a dit qu’elle l’acceptait, c’était pour vous complaire dans la persuasion qu’il resterait sans résultat. »


III. — L’ATTITUDE DES PUISSANCES.

M. de Bismarck nous enlevait toutes nos illusions. Il affirmait que l’Autriche n’acceptait la conférence qu’à contre-cœur, que la Russie nous faussait compagnie, que l’Angleterre nous désapprouvait et que l’Italie nous bernait. Il n’était que trop bien renseigné. L’Autriche nous prêtait son concours officiel et plaidait notre cause à Rome et à Florence, moins par conviction que pour ne pas manquer aux engagemens de Salzbourg; l’Angleterre encourageait les résistances de l’Italie, et la Russie ne nous donnait que de l’eau bénite. A peine avait-elle adhéré « en principe, » qu’elle revenait sur ses déclarations premières. Le prince Gortchakof ne nous cachait pas que la conférence ne lui agréait à aucun titre. « Si nous y allons, disait-il avec humeur au baron de Talleyrand, ce sera, croyez-le bien, uniquement pour vous être agréable et pour ne pas vous refuser notre concours. Par générosité, il nous répugne de proclamer la chute du pouvoir temporel, et par tradition et par conviction nous ne pouvons voter pour son maintien. La Prusse vous contre-carre, l’Angleterre vous est contraire, et le cabinet de Florence joue un double jeu. Qu’espérez-vous? Tâchez de vous arranger directement avec le pape. » C’était le billet de La Châtre.

Il ne restait plus à M. Benedetti qu’un moyen, sinon de vaincre, du moins d’atténuer les résistances qu’il rencontrait à la chancellerie fédérale, c’était d’en appeler du ministre au souverain. Il demanda une audience. Le roi le convia à sa table, il le combla de prévenances, et bien que par système il évitât la politique dans ses entretiens avec les diplomates étrangers, il ne se refusa pas à parler du congrès.

M. Benedetti fut éloquent, pressant, mais le souverain souleva les mêmes objections que le ministre, dans une forme plus gracieuse et dans un esprit plus conciliant : il était courtois. Le roi parut se préoccuper plus du sort du pape que des prétentions italiennes; ses tendances autoritaires et son orthodoxie religieuse le rapprochaient moins de Florence que de Rome. Il ne déclina pas la conférence, il sembla même regretter l’attitude de son gouvernement, mais il subordonna son adhésion à une entente préalable avec le cabinet de Londres ; c’était l’équivalent d’une fin de non-recevoir, car il savait fort bien que l’Angleterre était intransigeante.