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côté de la Prusse et de l’Autriche, et non la Saxe, comme état indépendant, Le gouvernement français, en procédant sans informations préalables, a révélé une fois de plus sa présomption. Il en est encore à croire qu’il peut jouer en Europe un rôle prépondérant. Il aurait dû, dans la situation où il se trouve, user de plus de ménagemens. Les chambres des petits états répondront à son invitation par la suppression dans leurs budgets de la représentation diplomatique. » La Gazette de la Croix rendait un éclatant hommage à la loyauté de la Saxe, qui, d’une façon déplaisante pour notre amour-propre, avait cavalièrement renvoyé l’invitation de la cour des Tuileries à la présidence fédérale; et elle s’attaquait au grand-duc de Hesse, qui, plus soucieux de ses droits de souveraineté, l’avait acceptée avec un reconnaissant empressement, sans appréhender le courroux qu’il soulèverait à Berlin et les humiliations que lui vaudrait cet acte d’insubordination[1]. La cour de Saxe, naguère si fière de son histoire, suivant l’expression de Tacite, « se ruait dans la servitude ; » elle n’avait plus qu’un désir : sauver les débris de sa fortune. Le roi Jean, pour ne pas porter ombrage à la Prusse, nous manifestait en toute occasion l’intention d’éviter avec nous tout contact politique. .N’avait-il pas, lorsqu’il vint à Berlin, au mois de novembre 1866, pour gagner les bonnes grâces du vainqueur, poussé la circonspection jusqu’à ne pas vouloir se rencontrer avec M. Benedetti, qui cependant avait contribué pour une bonne part à le tirer des griffes de la Prusse? Il semblait être de l’école du prince de Schwarzenberg, qui faisait de l’ingratitude un dogme politique[2].

M. de Bismarck, jaloux de son autorité, ne dissimula pas au comte Benedetti le déplaisir qu’il avait éprouvé en nous voyant traiter ses confédérés comme des souverains libres de toute attache. Il nous trouvait inconséquens; il ne s’expliquait pas qu’ayant invité la Saxe,

  1. Dépêche d’Allemagne, le 6 nov. 1867. — «M. de Dalwigk, violemment interpellé par M. de Wentzel, a dû faire publiquement amende honorable devant les injonctions du cabinet de Berlin; il a promis de subordonner ses résolutions, en ce qui concerne la conférence, à celles de la Prusse et il est allé jusqu’à déclarer dans la Gazette de Darmstadt, que toujours fidèle à ses obligations fédérales, il n’avait jamais aspiré à obtenir la faveur, ni l’alliance de l’étranger. Le ministre dirigeant de Hesse a donc fait une campagne fâcheuse ; il a été mal inspiré ou mal conseillé, en ne tenant aucun compte, ne serait-ce que dans la forme, des liens qui l’attachent à la Confédération du nord. Nous n’aurions pas à nous arrêter à cet incident sans la dépêche du comte de Bismarck, écrite, d’après les journaux prussiens, autant à l’adresse de la cour grand-ducale que du gouvernement français. D’après eux, le chancelier fédéral aurait fait d’une pierre deux coups : il aurait rappelé au sentiment de sa sujétion un confédéré récalcitrant et, en même temps, il aurait imposé à l’étranger le respect de la Confédération du Nord, dont il est le seul représentant. »
  2. Le prince de Schwarzenberg disait, en faisant allusion aux services que l’empereur Nicolas avait rendus à la monarchie autrichienne en la sauvant de la révolution : « Nous étonnerons un jour l’Europe par notre ingratitude. »