Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en un mot, que la conférence remettrait tout en question sans rien résoudre. « Si j’avais l’honneur d’être le ministre des affaires étrangères de l’empereur, disait-il, en décochant un trait à M. de Moustier, auquel il gardait rancune, je n’hésiterais pas un instant à lui donner le sage conseil de renoncer à son dessein. »

Il ne nous cachait pas, du reste, en invoquant l’identité de situation, qu’il se concerterait avec l’Angleterre avant de prendre un parti et qu’il se renseignerait pour être fixé sur la pensée de l’Italie et de Rome. Il ne lui convenait pas de blesser des sentimens et des opinions que le gouvernement du roi avait tout intérêt à ménager ; il se préoccupait surtout du pape ; il ne voulait pas être anathématisé.

M. Benedetti cherchait, sans y réussir, à calmer ses scrupules, à le rassurer sur les dispositions du cabinet de Florence et sur les foudres du Vatican. Son siège était fait. Il n’admettait pas que son plénipotentiaire pût être exposé à un rôle insoutenable; sans prendre d’initiative, il se verrait forcé de s’expliquer sur les propositions émises par ses collègues ; il ne pourrait émettre d’avis sans nuire aux relations cordiales que le gouvernement du roi avait un égal intérêt à entretenir avec deux cours rivales. S’il s’exprimait dans un sens favorable au gouvernement pontifical, ne cesserait-il pas d’être l’interprète de la majorité du peuple prussien, naturellement hostile au pape et sympathique à l’Italie, et s’il appuyait, au contraire, les prétentions italiennes, n’aliénerait-il pas au gouvernement du roi ses sujets catholiques, qui disposaient dans les chambres d’un nombre considérable de voix? Il lui paraissait, en tout cas, indispensable que la France formulât un programme, qu’elle fixât le lieu de la réunion et les points qui seraient mis en délibération.

Deux politiques se trouvaient aux prises, l’une chimérique, se débattant, désenchantée, dans de cruels embarras ; l’autre réaliste, victorieuse, poursuivant son but avec une imperturbable volonté. Notre ambassadeur subissait les conséquences de nos erreurs, il ne pouvait plus, malgré sa vive et fine intelligence, arrêter le cours des événemens que nous avions laissés s’accomplir, sans nous prémunir contre l’ingratitude du vainqueur. Son habileté se buttait contre les partis-pris d’un ministre sans générosité, qui se refusait obstinément de nous tendre la main pour nous permettre de reprendre notre liberté d’action.

Arrivé à Berlin dans les jours où l’empire était à l’apogée de sa puissance, M. Benedetti. depuis Sadowa, voyait son influence et son autorité s’amoindrir. M. de Bismarck, jadis si souple, si déférent à nos moindres désirs, s’efforçait d’accroître nos embarras au lieu de saisir les occasions qui s’offraient à lui de nous rendre service et d’associer sa politique à la nôtre. Notre ambassadeur