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de secte et de guerre, encore plus qu’œuvre scolaire, est un des plus redoutables, un des plus dangereux instrumens de division nationale. Elle crée des scissions irréparables ; elle trouble l’unité morale de la France, qu’elle partage en deux camps, pour longtemps peut-être irréconciliables. Des hommes d’une sérieuse prévoyance politique et même des hommes de simple bon sens appelés à fonder un régime nouveau se seraient dit sans doute que leur premier devoir, que leur intérêt était de ne pas multiplier les difficultés autour d’eux, de ne point enflammer et enven mer les hostilités contre les institutions nouvelles ; ils auraient compris que, même en accomplissant des réformes, en répandant l’instruction populaire, en introduisant l’esprit de la société civile, l’esprit du temps, si l’on veut, dans l’enseignement, ils devaient ménager prudemment les mœurs, les croyances, les habitudes du pays, éviter tout ce qui aurait Tapparence d’une guerre. C’était, sans ombre de doute, la politique la plus simple, la plus prévoyante et la plus sûre. Au lieu de procéder avec prudence, on a fait justement tout le contraire, on n’a rien négligé pour réveiller, pour exaspérer les susceptibilités religieuses, et on aurait beau s’en défendre, la vérité est trop évidente ; elie éclate dans tous les actes des républicains qui disposent depuis quelques années du gouvernement. Qu’est-ce que cette entreprise qui se manifeste particulièrement encore aujourd’hui, et par cette récente loi scolaire et par ces expulsions nouvelles de pauvres sœurs qui depuis un siècle soignent des enfans et des malades dans leurs maisons, qu’est-ce que cette entreprise, sinon la continuation d’une grande et malfaisante guerre contre une foi religieuse, contre des traditions respectées ? On peut tout faire sans doute, on peut provisoirement tout braver puisqu’on a la force ; mais on ne le fait qu’en divisant d’abord profondément le pays, et puis en préparant d’inévitables réactions, en créant une situation où le premier acte d’une majorité nouvelle, d’une majorité simplement modérée qui voudrait faire œuvre d’apaisement, serait l’abrogation ou la réforme de cette loi scolaire qui vient d’être votée. On a évoqué l’autre jour en plein Palais-Bourbon les souvenirs de l’édit de Nantes. C’est en vérité de l’à-propos. Le roi Louis XIV voulait que tous ses sujets eussent sa religion ; c’est exactement ce qu’on veut faire aujourd’hui dans un autre sens. A quoi servent donc les exemples du passé, ainsi que l’a dit avec une généreuse éloquence M. Raoul Duval, si ce n’est à prouver que la liberté seule peut régler les rapports des hommes et rendre à une nation comme la France la force par la paix morale ?

La politique est comme une scène mobile où leshommes passent et se succèdent. Ils passent vite, surtout de notre temps, dans ce siècle de révolutions et de crises, où l’Europe en trente années a presque complètement changé de face, où la fortune des personnages publics est livrée avec le sort des peuples aux « jeux de la force et du hasard. »