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le visage vrai sous le masque, et l’homme réel, vivant, agissant et sentant, sous la correction et la tenue de l’homme cru monde, c’est moins bien ; et il a besoin d’une liberté que les mœurs de cour et de salon ne lui concéderont jamais. C’est ici la crise que l’influence littéraire des femmes a subie au XVIIe siècle, et dont il s’est fallu de bien peu qu’elle ne sortît victorieuse.

En effet, tous les écrivains du second rang leur cèdent, et même un ou deux du premier. Si vous exceptez quelques débris du XVIe siècle, attardés dans le XVIIe, les turlupins et les grotesques, — ennemis nés des salons, pour beaucoup de motifs, et, notamment, parce qu’on n’y boit point, — tous les autres sont avec elles : Balzac et Voiture, Ménage et Chapelain, Conrart et Vaugelas, Benserade et Quinault, Pellisson et Patru, Mascaron et Fléchier, Corneille même et La Fontaine. Les envieux les raillent, mais elles-mêmes s’applaudissent, et elfes ont raison, et la faveur publique les encourage. J’ai tâché d’en dire les motifs, et j’ai rendu justice à l’utilité de leur œuvre. Elles ont eu l’esprit et le courage, le bon sens et le goût, le goût de l’exquis et celui du grand, ou plutôt du grandiose, l’art de tout entendre et celui de tout dire, tout, — excepté justement ce que les Pascal et les Bossuet, les Molière et les Racine, les Boileau et les La Bruyère allaient avoir besoin de leur dire et de leur faire entendre. Grands seigneurs et charmantes femmes, salons de la place Royale ou du faubourg Saint-Germain, il n’y a pas de convenances qui puissent empêcher l’auteur des Pensées ou celui du Sermon sur la mort d’étaler à leurs yeux la petitesse et le néant de l’homme, la misère infinie de leurs divertissemens, et cet inexorable ennui qui fait le fond de l’existence humaine. Il n’y en a pas qui puisse retenir l’auteur de Tartufe ou celui de Phèdre d’aller au fond de l’hypocrisie mondaine ou, par-delà les vaines galanteries, de pousser jusqu’à l’imitation de la réalité la peinture des passions de l’amour. Et il n’y a pas de considérations qui puissent obliger l’auteur des Satires à tempérer en bile aux vers de Chapelain ou celui des Caractères à nous épargner l’amertume de son expérience du monde et de la vie. C’est pourquoi tous ensemble, charnu à sa manière, et sans convention ni concert, vous les voyez qui s’élèvent contre la domination des rhéteurs et des précieuses. La Bruyère les attaque avec son ironie mordante et contenue, mais dont la blessure n’en est que plus profonde, Boileau n’a garde de les oublier dans sa Satire sur les femmes;


C’est chez elles toujours que les fades auteurs
S’en vont se consoler du mépris des lecteurs...


Racine les crible de ses épigrammes ; Molière écrit les Précieuses ridicules et les Femmes savantes, Bossuet rudoie impitoyablement ces mondains