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comme l’on sait, une autre manière de la subir. Pensent-ils peut-être, avec Érasme, « que la femme est un animal inepte et ridicule, divertissant d’ailleurs et agréable,.. que Platon a eu raison de se demander s’il fallait la mettre au rang des êtres raisonnables ou la laisser dans l’espèce des brutes;.. et que, de même qu’un singe est toujours un singe, une femme, quelque rôle qu’elle joue, demeure toujours femme, c’est-à-dire sotte et folle? » Je les en crois volontiers capables. Mais, quoi qu’ils pensent d’ailleurs, il ne leur vient pas à l’esprit que, si la femme est une personne, elle puisse être un personnage, qu’elle puisse revendiquer sa part aux occupations des hommes, et encore bien moins, par conséquent, qu’elle puisse concevoir l’idée de les conduire, les diriger et les régler. Notre littérature française du XVIe siècle est encore toute virile, sans aucun alliage de qualités féminines, non-seulement dépourvue de pudeur et de goût, mais il faut dire de vergogne, et, comme telle, à peine Française, mais par compensation, vraiment Gauloise et vraiment Latine à la fois.

On peut là-dessus se demander si les troubles qui remplissent la seconde moitié du XVIe siècle, guerres de religion, guerres civiles, guerres étrangères, en imposant aux femmes elles-mêmes d’autres vertus que celles de leur sexe, n’ont pas comme étouffé l’esprit de société prêt à naître, et conséquemment, la politesse des mœurs et les agrémens du langage. A la cour même de son frère, la première Marguerite, sœur de François Ier, eût aimé, comme on dira plus tard, tenir bureau d’esprit. Marie Stuart, pareillement, si la fortune le lui eût permis et qu’elle n’eût dû trop tôt quitter la cour de France pour sa brumeuse Écosse. On a dit d’ailleurs avec raison que cette dynastie des Valois « à laquelle l’historien politique est en droit d’adresser de sévères reproches, créa le côté brillant de la civilisation française, et contribua puissamment à fonder notre suprématie en fait d’élégance et de goût ; » et ce qui est vrai de ses premiers princes l’est peut-être encore plus des derniers. François Ier n’a pas usurpé son nom de Père des Lettres; tout le monde connaît les vers de Charles IX à Ronsard ; Henri III lui-même s’est piqué d’être connaisseur aux choses de l’art et du goût. Mais enfin toujours est-il que ni les rois ni les reines, ni les femmes en dehors d’eux, ne réussirent au XVIe siècle à fixer d’une manière vraiment stable, sinon définitive, ce que l’on pourrait appeler l’idéal de l’esprit français. Et quelques explications que l’on en veuille donner, lesquelles sont libres, comme toujours, et infinies, dès qu’il s’agit de dire pourquoi quelque chose n’est pas arrivé, le fait est qu’il faut venir jusqu’aux premières années du XVIIe siècle pour voir naître l’influence des femmes et commencer l’histoire de la société polie.

Les jugemens de la postérité sont quelquefois bizarres. Aussi longtemps