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Recueil de morceaux choisis, où M. Jacquinet et « un professeur de l’Université, » par une innovation galante, et heureuse autant que galante, n’ont voulu faire figurer que des femmes. C’est à cette question que devrait répondre, que répondrait le livre de M. Henri Carton sur les femmes écrivains de la France, s’il ne manquait absolument aux promesses de son titre. Et c’est, à notre tour, ce que nous voudrions aujourd’hui rechercher.

A la vérité, le sujet, pour être traité selon son étendue naturelle, demanderait un livre, tout un livre, ou davantage, n’étant rien de moins que l’histoire elle-même de la littérature française prise d’un certain biais et vue dans une certaine perspective. Si l’on ne connaît point, en effet, de ruelles ou de salons contemporains des croisades, et si la cour de France, en femmes comme en hommes, jusqu’à Louis XII et François Ier, n’est exactement que le service personnel du roi, je viens de rappeler que le moyen âge lui-même avait eu ses femmes historiens ou poètes, et la succession, depuis lors, ne s’en est jamais interrompue. Pour le prouver, rien ne serait plus facile que d’énumérer ici tout de suite une vingtaine, une trentaine, une centaine de noms de femmes auteurs, dont M. Jacquinet dans son Recueil, ou M. Carton, dans son Histoire, n’ont pas seulement fait mention. C’est, par exemple, Mme du Noyer, c’est Mme Nouvellon, c’est Mme Patin, c’est Mme de Pringy, c’est Mme de Louvencourt, c’est Mme Moussart, c’est Mme Durand, c’est Mme Vatry, c’est Mme de Gomez, c’est Mlle Masquière, c’est Mme du Hallay, c’est Mlle de La Force, c’est Mme de Murat, c’est Mme d’Aulnoy, qui toutes ont vécu de 1680 à 1725 environ, dans une courte période, mais en revanche fort obscure de notre histoire littéraire; et dont plusieurs, j’ose le dire, ne seraient pas indignes que l’on fît, elles aussi, des extraits de leurs œuvres. Mais, à celles qui se firent imprimer, pour peu que l’on veuille ajouter celles qui, sans être auteurs, ont affecté de protéger ou de diriger les lettres, on pourrait, quoique déjà bien longue, allonger encore la liste que Somaize en a donnée dans son Dictionnaire des précieuses, pour une seule moitié du XVIIe siècle. Si les autres littératures n’ont pas manqué de femmes auteurs, la succession n’en a pas été si régulière, la tradition si constante que chez nous, et une histoire littéraire des femmes de France nous retracerait presque année par année l’histoire même de notre littérature nationale. Ne pouvant avoir ici la prétention de l’écrire, ou seulement de l’ébaucher, nous pouvons toujours essayer de dire comment nous la comprendrions, et d’indiquer à grands traits en quel sens l’influence des femmes s’est exercée sur notre littérature.

Il n’est pas nécessaire, pour cela, de remonter dans notre histoire délit du XVIe siècle. Nous ne connaissons assez ni la littérature ni les mœurs du moyen âge : d’une part, nous ne trouvons rien, dans aucune