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à l’inscription, qui peu à peu se convertira en usage, après quoi l’usage sera transformé en loi. Par une sagesse toute semblable, pour parer à l’incertitude des titres de propriété, une nouvelle loi immobilière stipule que tout propriétaire d’immeubles en peut réclamer l’immatriculation et faire enregistrer son titre, en joignant à sa demande le plan de sa propriété, et on prévoit qu’avant peu les biens de quelque importance seront tous enregistrés, que du même coup le cadastre sera fait sans que l’état ait eu rien à débourser. La vertu la plus nécessaire à la prospérité d’un protectorat est la longue et divine patience, qui en toute chose compte sur l’aide du temps et unit aux artifices du gouvernement indirect le goût de travailler au progrès par des voies obliques et détournées.

A la suite d’incidens qui firent quelque bruit, M. de Freycinet, par un arrêté du 23 novembre 1885, chargea une commission de lui présenter un rapport sur la situation administrative de la Tunisie. Cette commission, présidée par M. Flourens, ne négligea rien pour s’éclairer ; elle fit son enquête, recueillit toutes les dépositions utiles, examina les dossiers, prit connaissance des dénonciations, des plaintes portées soit contre la gestion des services publics en Tunisie, soit contre les personnes préposées à cette gestion et dont l’intégrité était reconnue de leurs accusateurs eux-mêmes, qui ne trouvaient à leur reprocher « que leur candeur extrême et leurs scrupules exagérés. » Le rapport qu’elle présenta le 24 décembre n’a pas été publié ; mais on sait qu’elle y rendait un éclatant hommage à l’œuvre accomplie en si peu d’années sans aucun sacrifice pour le trésor français. Elle exprimait aussi le vœu « que le gouvernement eût la main assez ferme pour maintenir le régime du protectorat tel qu’il l’avait compris jusqu’à ce jour. »

On ne peut qu’approuver ces conclusions quand on se rappelle l’état de déplorable déconfiture où se trouvait la régence quand nos soldats l’occupèrent et s’y établirent solidement. Leur courage fut secondé par le sang-froid et les habiles manœuvres d’un intrépide diplomate, M. Roustan, qui rendit à son pays dans cette délicate conjoncture d’inoubliables services. Mais la maison qu’on venait d’occuper était fort délabrée, presque inhabitable ; planchers, plafonds, gros murs et murs de refend, il fallait tout réparer. Le gouvernement tunisien avait engagé ses revenus les plus clairs, et la banqueroute était devenue pour le bey une maladie chronique. Deux cent mille insurgés en armes détenaient les frontières de la Tripolitaine. Les colonies étrangères, dont les privilèges étaient inconciliables avec toute bonne police, surveillaient nos mouvemens d’un œil inquiet et jaloux. La Tunisie, depuis longtemps, ne s’appartenait plus. Par l’effet des capitulations, les consuls disposaient d’un droit de veto, dont ils abusaient à la seule fin de prouver en toute rencontre que leur bon plaisir était la loi du