pour la Tunisie. Dans ce pays, le gros du corps de nos fonctionnaires est représenté par ces six personnages, rétribués par la régence[1].»
Un contrôle exact et rigoureux est d’autant plus nécessaire dans les pays de protectorat qu’ils doivent arriver en peu de temps à vivre de leurs propres ressources, sans rien coûter à la métropole. Aussi le protecteur doit-il veiller avec un soin jaloux sur les finances de ses cliens, les protéger comme un bon chien de garde contre tous les appétits sournois ou dévorans. Dès ce jour, la Tunisie subvient à toutes ses dépenses, en y comprenant celles des services français dont on l’a dotée, et nous n’avons plus à notre charge que les frais d’entretien du corps d’occupation. Si quelque jour, comme on l’espère, ce corps, réduit dès aujourd’hui à un effectif de 15,000 hommes, n’en comptait plus que 5 ou 6,000, Sidi-Ali pourrait se charger encore de cette dernière dépense, et la Tunisie, dont le commerce avec la France montait en 1884 à plus de 21 millions de francs, ne nous coûterait plus un sou.
Mais on n’obtient des résultats aussi satisfaisans qu’en joignant à l’esprit de réforme une prudence cauteleuse. Il faut renoncer aux changemens brusques et pompeux, aux coups de théâtre qu’applaudissent les badauds, se contenter des améliorations graduelles, lentes, accommoder ses plans aux circonstances, étudier profondément le caractère et l’humeur des populations pour savoir quelles nouveautés utiles on peut leur proposer sans violenter leurs habitudes ou leurs croyances. En un mot, il faut procéder avec elles par voie d’insinuation, les apprivoiser en leur tendant des appâts, pratiquer adroitement l’art difficile d’amorcer le progrès. On a plus tôt fait de commander que de persuader et de convaincre ; mais rien ne coûte plus cher que les réformes ambitieuses où la vanité trouve son compte, car de toutes nos passions la vanité est la plus coûteuse.
Nous n’avons point porté en Tunisie nos codes, nos routines et la complication de nos règlemens, comme certaines gens l’auraient voulu, et bien nous en a pris. Si nous avions prétendu imposer aux sujets du bey toutes nos pratiques, ils se seraient défiés, ils auraient vu dans nos réformes autoritaires des pièges, des embûches fiscales, et leur mauvais vouloir musulman n’aurait rien négligé pour se soustraire à nos exigences. Durant des siècles, comme on l’a remarqué, les Tunisiens sont nés et sont morts sans que personne en prît note et sans comprendre à quoi pouvait servir un officier d’état civil. Des registres facultatifs ont été ouverts tout récemment dans les principaux cent de la régence, et on assure que les indigènes s’habituent insensiblement
- ↑ La France coloniale, ouvrage publié sous la direction de M. Alfred Rambaud. professeur à la Faculté des lettres de Paris; Armand Colin et Cie, 1886. Aux six postes de contrôle civil, installés au Kef, à la Goulette, à Nebel, Sfax et Gafsa, on vient d’en ajouter six à Tunis, Kérouan, Souk-el-Djemaa, Souk-el-Arba, Béja et Bizerte.