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la mission de Los Dolores, qui seule produisait. bien qu’en quantités insuffisantes, les fruits et les légumes nécessaires à l’approvisionnement de la ville. Il n’existait alors qu’une route à travers les sables, impraticable pour les voitures, à peine accessible aux mules et aux piétons. San-Francisco, plongée dans les brouillards que le vent du nord-ouest lui amène du Pacifique par la Porte-d’Or, était en outre, par la nature sablonneuse de son sol, impropre à toute culture. Mais, à quelques milles, un été semi-tropical fait place au froid brumeux ; un soleil éclatant, dans un ciel presque toujours pur, succède à un horizon gris et terne et au vent froid chargé de poussière qui règne six mois de l’année. Au-delà de la mission de Los Dolores se déroulent des plaines riches et fertiles, protégées du vent du nord par le Coast Range, hautes collines couvertes de forêts de plus ; par ces plaines ensoleillées on gagne Santa-Clara, San-José, dont les terres sont d’une merveilleuse fécondité. On résolut donc de faire une route jusqu’à la Mission ; pour éviter les dunes de sable, on adopta le tracé par la plage et la construction sur pilotis à travers les parties marécageuses ; mais quand l’entrepreneur se mit en devoir d’enfoncer le premier pieu, de quarante pieds de longueur, à l’aide d’un bélier, du premier coup le pieu tout entier disparut dans la vase. Sans se déconcerter, il en fit placer un second sur celui-ci. Le résultat fut le même ; à quatre-vingts pieds de profondeur on ne rencontrait pas le sol ferme. On dut modifier le tracé et se borner à plancheyer sur le sable. La route coûta 150,000 fr. par mille.

La main-d’œuvre, même la plus inexpérimentée, se maintenait à des prix exorbitans. On le vit bien quand le premier incendie du h mai 1850 réduisit une partie de la ville en cendres. Trois blocs entiers de constructions remplies de marchandises furent anéantis en quelques heures. La perte dépassait 15 millions, et naturellement rien n’était assuré. La journée d’un homme employé à déblayer le sol se payait jusqu’à 100 francs. Mais rien ne ralentit l’élan, et, quelques jours après le désastre, de nouvelles bâtisses s’élevaient sur le terrain noirci. Six semaines plus tard, le 14 juin, un nouvel incendie allumé par des mains criminelles ravageait la partie de la ville comprise entre les rues California, Kearney et Clay et occasionnait des pertes supérieures encore. Sans se décourager, on se remit à l’œuvre.

Simple territoire des États-Unis, gouvernée à distance par les autorités fédérales, la Californie ne possédait encore aucune autonomie non plus que San-Francisco aucune organisation communale. Cette situation ne pouvait se prolonger sans de graves inconvéniens. De Washington on octroya à la ville une charte d’incorporation provisoire qui devait devenir définitive le jour où la Californie serait