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coups à recevoir, le nombre et la réputation des occupans. Les conditions débattues et convenues, l’entrepreneur en question recrutait et apostait ses hommes; au moment favorable, le plus souvent la nuit, on brisait la clôture et on expulsait les intrus, non d’ordinaire sans échanger des coups de revolver. Il nous souvient d’un terrain situé dans Kearney street, où, pendant plusieurs jours, ceux qui l’occupaient résistèrent aux assaillans, faisant feu sur quiconque approchait, tuant et blessant plusieurs hommes. Les passans prévenus faisaient un détour ; les flâneurs se rendaient là en promenade et, à distance, jugeaient des coups. Quant à intervenir, nul n’y songeait; mais les sympathies étaient pour les squatters, comme on désignait ceux qui prétendaient posséder par droit d’occupation.

Nonobstant ces inconvéniens sérieux, car ce n’était pas tout de reprendre son bien, il fallait souvent le défendre contre un retour offensif. Le prix des terrains montait; en 18Û7, une parcelle de 50 varras, 25 pieds de façade sur 137 1/2 de profondeur, dans la ville même, valait une once, 80 francs; en 1849, on en obtenait facilement 1,000 francs. Quant aux terrains situés dans les sables, ils ne se payaient encore que 12 fr. 50 l’hectare. Tel terrain, dans la rue Kearney, vendu alors 250 francs, en représente aujourd’hui 500,000.

Les matériaux de construction faisant défaut, on y suppléait par l’importation. De Boston arrivaient des maisons en bois, démontées, numérotées, que l’on édifiait en hâte ; elles étaient louées avant d’être construites, souvent même avant d’être arrivées. On traçait des rues se coupant à angle droit, sans souci des collines et des dunes, et l’on mettait la mer en vente, offrant aux acheteurs des lots délimités dans la baie même, en façade sur la plage, lots qu’ils devaient combler en démolissant et nivelant les dunes de sable qui encerclaient la ville. Quelques-uns de ces water lots, comme on les appelait, avaient une profondeur de 8 à 10 mètres d’eau, et les navires mouillaient sur des terrains à construire. Tous ceux que l’on mit ainsi en vente trouvèrent acheteurs. Une foi robuste dans l’avenir faisait peu à peu place aux incertitudes et aux hésitations des premiers jours. Les nouveaux débarqués, sans argent, trouvaient tout de suite à s’occuper; attelés aux brouettes, ils démolissaient les dunes, équarrissaient les pilotis, comblaient la baie, élargissant chaque jour l’espace restreint dans lequel San-Francisco étouffait.

Les transactions se multipliaient. A défaut de comptoirs, de maisons de banque, d’intermédiaires réguliers, il fallait arriver à créer un équivalent à ces rouages multiples. Du jour au lendemain l’auction room se fonda. Elle répondait à un besoin urgent, et tout de suite prospéra. L’auction room, ou salle de vente aux enchères de