Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un seul jet : Tamalpais, le Monte-del-Diavolo, Mount-Hamilton ; puis, si le temps est clair, à 40 milles de distance, fermant l’horizon, la Sierra-Madre, aux cimes neigeuses, dresse ses puissantes assises et ses pics sourcilleux de 4.000 mètres de hauteur. C’est un des contre-forts de la grande Cordillère, qui, de l’Océan-Glacial du Nord au Cap-Horn, déroule sa chaîne immense de plus de 3,000 lieues de longueur des mers arctiques aux mers antarctiques, Rabaissant lentement dans l’Amérique centrale pour se relever brusquement dans l’Equateur, se soulever en masses énormes dans le Pérou, le Chili et la Patagonie et entasser au Cap-Horn ses rocs de granit qui défient la région des tempêtes.

Tournant le dos à l’Océan-Pacifique, dont la séparent des dunes de sable et des mornes couverts de lentisques et d’une végétation rabougrie, San-Francisco fait face à la baie. A l’époque dont nous parlons, le village se composait d’environ cent cinquante cases disséminées au hasard sur la plage et construites en adobes, briques séchées au soleil ; ni rues, ni alignemens, ni clôtures. Le sol sans valeur n’en comportait pas la dépense. Sur une simple requête, les détenteurs actuels avaient obtenu des autorités mexicaines des concessions de terres à des prix dérisoires, payés le plus souvent en marchandises. D’ailleurs, à San-Francisco même, le sol aride et sablonneux ne produisait rien. L’eau douce faisait défaut. Le climat, tempéré, ne comportait ni grands froids ni chaleurs excessives. L’été, les vents du large amenaient chaque après-midi un brouillard intense qui enveloppait cette partie de la côte, descendait sur la ville et la baignait de son humidité. Les grandes dunes de sable qui dominent San-Francisco, incessamment tourmentées par les vents du large, remplissaient l’air, d’une poussière impalpable. L’hiver était la belle saison. Les vents cessaient et avec eux le brouillard ; le ciel redevenait pur. Dans l’air, d’une transparence incomparable, les fuyans lointains se dessinaient en reliefs puissans. Aux environs de la ville, les plaines, abritées du large par le Coast Range, fortement détrempées par les pluies, se couvraient alors d’une herbe épaisse et de fleurs sans nombre; les teintes vertes disparaissaient sous l’éclat de leurs vives couleurs. Un immense tapis diapré de toutes nuances déroulait sans fin ses reflets ondoyans. Terre riche et fertile au-delà de toute description, où erraient de vastes troupeaux de bœufs, seule richesse des habitans.

Jusqu’à la découverte des mines d’or, l’unique commerce du village consistait dans le trafic avec les navires baleiniers auxquels, en échange de leurs huiles et fanons, on fournissait des vivras frais, et dans la vente des peaux de bœuf. Brusquement tout était changé. On ne prévoyait pas encore la grandeur prochaine de San-Francisco,