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dérouler à leurs pieds les plaines fertiles des vallées du Sacramento et du San-Joaquin, arrosées de nombreux cours d’eau, semées de bouquets d’arbres séculaires, tapissées de fleurs et d’herbe épaisse, ils dévoraient d’un œil avide, insouciant de ses beautés naturelles, cette terre de l’or, dont ils parlaient et rêvaient depuis des mois, aux bivouacs du soir, pendant les rudes marches sous un ciel brûlant et dans les nuits étoilées où le cri plaintif des coyotes et les rugissemens des fauves tenaient leurs sentinelles en éveil. Nouveaux Argonautes à la conquête de la Toison d’or, ils oubliaient les fatigues passées, les misères de la route et les tristesses de l’exil. Ils pressaient le pas ; la fortune les attendait là-bas.

En 1848-1849, ils partirent ainsi, au nombre de près de 20,000. des rives du Missouri ; toute une armée, composée de la fleur de l’Ouest, tous jeunes, vigoureux, prêts à toutes les luttes; ils franchirent ainsi plus de huit cents lieues pour gagner les placers, débouchant en Californie par la passe du Nord, débordant sur le Sacramento et l’American-River.

Beaucoup de ces premiers venus virent se réaliser leurs rêves. L’or était partout. Plus d’un, au début, récolta jusqu’à 500 piastres (2,500 fr.) par jour. On vit des mineurs se partager chaque samedi le produit de la semaine, mesurant l’or, à défaut de balances, dans leurs gobelets d’étain. Mais si riche que fût une localité, on cherchait mieux encore. On prospectait, c’était le terme consacré, au loin, parmi les Indiens, traversant les fleuves à la nage, faisant le coup de feu avec les tribus hostiles, sans tentes, et bien souvent sans autres vivres que ceux que l’on se procurait par la chasse. Si l’or était abondant, tout le reste faisait défaut. Les provisions se vendaient, quand on trouvait à en acheter, à des prix exorbitans. La farine, le riz, le sucre, valaient alors, à San-Francisco. 5 francs la livre, le biscuit de mer, 250 francs le quintal, le vin et l’eau-de-vie, 40 fr. la bouteille. Dans certaines localités minières, les frais de transport décuplaient encore ces prix. On paya 350 francs un chapeau de feutre, 400 francs une couverture de laine, 25 francs une bouteille vide. Les privations, une nourriture insuffisante, des fatigues excessives, engendraient les fièvres, les dyssenteries; médecins et médicamens manquaient ; malade, on en réchappait rarement.

Puis l’absence d’organisation et de police, les convoitises surexcitées, attiraient autour des placers riches des bandits de toute sorte, des despesadoes, écume du Mexique, du Chili et du Pérou ; les rixes, les meurtres, les vols se multipliaient. Vainement le gouvernement des États-Unis essayait de remédier à cette anarchie. Le commodore Jones, qui avait reçu l’ordre de se rendre à Monterey et à San-Francisco avec son escadre, avouait son impuissance et répondait aux instances du ministre de la marine qui le pressait d’user des