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division américaine, déboucha dans les plaines du Sacramento, il ne lui restait plus qu’à achever ce que Sutter et Fremont avaient si bien commencé, et, en février 1848, par le traité de Guadalupe Hidalgo, le Mexique cédait aux États-Unis le Texas, tout le nouveau Mexique, la Haute et la Basse-Californie.

L’histoire offre d’étranges rapprochemens. Au moment même où se négociait ce traité, qui, doublant presque l’étendue de la république américaine, lui donnait l’empire du Pacifique, une monarchie s’écroulait en France, ébranlant de sa chute l’Europe entière, tandis que, dans un coin perdu de la Nouvelle-Helvétie, le coup de pioche d’un ouvrier de Sutter mettait au jour une pépite d’or et révélait au monde l’existence de richesses inouïes auprès desquelles pâlissaient la Golconde antique et les mines du Pérou.

James W. Marshall, Américain d’origine, mormon de religion, était entré au service de Sutter comme ouvrier charpentier et mécanicien. Chargé par lui d’établir une scierie mécanique à l’endroit où s’élève aujourd’hui la ville de Coloma, Marshall fit détourner par les Indiens le cours d’un petit ruisseau sur lequel il se proposait d’élever ses constructions. En fouillant le lit mis à sec, un coup de pioche amena à la surface un caillou d’un rouge brun. Son poids, sa dureté, sa couleur rappelèrent à Marshall quelques pépites d’or qu’il avait vues en Géorgie. Ce n’était pas du cuivre, puisque au contact du vinaigre il ne verdissait pas. Très surexcité par sa découverte, il poursuivit ses recherches et réunit en peu de temps un certain nombre de ces pépites, presque toutes d’assez petites dimensions, la plus grosse ne dépassant pas, comme poids, celui d’une pièce de 10 piastres (50 francs). Marshall fit part de sa découverte à ses compagnons, mais ils commencèrent par en rire et se moquer de lui. Cependant, l’épreuve faite avec le vinaigre les décida à ramasser ces pépites, et, en un mois, tout en se livrant à leurs travaux habituels, ils en avaient recueilli plusieurs onces. L’un d’eux, Bennett, devait se rendre à San-Francisco. On lui confia les cailloux avec mission de rechercher s’il ne se trouverait pas, à bord des rares baleiniers qui fréquentaient la baie, quelqu’un qui pût le renseigner. A San-Francisco, Bennett lia connaissance avec un matelot, Isaac Humphrey, ancien mineur en Géorgie, lequel, après examen, lui confirma que ces pépites étaient des pépites d’or; elles étaient plus grosses et plus pures que celles qu’il avait trouvées en Géorgie, et les placers d’où elles provenaient devaient être d’une grande richesse.

Isaac Humphrey offrit à Bennett de retourner avec lui et s’efforça de persuader à quelques-uns de ses compagnons de le suivre, mais ils refusèrent de quitter leur pêche. Humphrey et Bennett partirent donc seuls, et, le 7 mars, ils arrivaient à la scierie. Dès le lendemain,