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l’ordre intérieur, la tenue des malades et du personnel ne laissent rien à désirer; la direction, la surveillance, dépendent de l’autorité administrative chargée de maintenir une discipline rigoureuse, un contrôle de jour et de nuit ; l’aliéniste prévaut dans la stricte mesure de ce qui est indispensable au traitement. Les simulateurs de folie ou d’épilepsie, disait le médecin du quartier de Gaillon, ont été assez nombreux, mais quand le quartier sera mieux connu, il s’en présentera moins, les condamnés sachant qu’ils n’ont rien à gagner, ni sous le rapport de l’alimentation, ni sous celui du régime disciplinaire ou des facilités d’évasion.

La loi de 1838 ne parle pas davantage des aliénés dits criminels, mais la question n’avait point passé inaperçue, car dans le cours de la discussion, deux députés, MM. de Golbéry et Boyard, proposèrent de permettre au ministère public d’interner la personne qui, à la suite de débats criminels ou correctionnels, aurait été jugée folle au moment de l’action. Il ne s’agit en somme, objectaient-ils fort justement au rapporteur M. Vivien, que de permettre à des magistrats, à douze jurés, ce qu’on accorde à un maire, à un commissaire de police. M. Boyard citait un exemple des plus frappans : un jeune homme de dix-neuf ans, d’une figure calme et douce, remarquablement fort, était accusé d’avoir tué un de ses frères envers lesquels il manifestait une jalousie qui allait parfois jusqu’à la frénésie. Le jury prononce l’acquittement. Lorsqu’il est question de placer le meurtrier dans un asile, il soutient qu’il n’est nullement fou, qu’il veut jouir de son droit, et, par une série de raisonnemens très clairs, convainc de l’intégrité de sa raison le président de la cour d’assises. Il a triomphé des préventions du magistrat et s’écrie avec effusion : « Ah ! je vois bien que vous allez me rendre la liberté ; je reverrai bientôt ma mère et mes sœurs ! — Vous avez donc un grand désir de les retrouver ? Et votre frère, l’aimerez-vous aussi ? — Mon frère, répond le jeune homme avec un calme effrayant, mon frère, je le tuerai comme l’autre ! » Il avait suffi d’un mot pour réveiller sa démence[1].

Ces considérations ne prévalurent point et les conséquences d’un tel oubli ne tardèrent pas à sauter aux yeux. En fait, lorsqu’un inculpé est l’objet d’une ordonnance de non-lieu ou d’un acquittement, l’autorité judiciaire se croit dessaisie du droit de le retenir: tantôt alors le préfet le place dans un asile, tantôt il le met en liberté, soit parce que son état mental s’est amélioré, soit parce que le médecin commis par lui ne partage pas l’avis du premier expert ; souvent aussi, il arrive que le placement ne se prolonge pas, le directeur de l’établissement n’osant conserver un malade qui ne

  1. Hurel, le Quartier des aliénés annexé à la maison centrale de Gaillon.