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crainte d’une réclusion plus sévère s’ils s’abandonnaient à la violence de leurs penchans. Au reste, il estime impossible de suivre les évolutions d’un esprit dérangé, de distinguer entre ce qui, dans l’acte, appartient à la santé et ce qui rentre dans le domaine du délire, car celui-ci, comme un poison, s’insinue dans toutes les facultés et les flétrit. C’est une erreur de Locke de prétendre que le fou raisonne correctement sur de fausses prémisses ; souvent, il raisonne follement sur de fausses prémisses, « il ne fait pas ce qu’il devrait faire si son idée délirante était une idée juste, et il fait ce qu’il ne devrait pas faire si cette idée délirante était la réalité positive. »

Il est des variétés où le délire n’existe pas, une folie on il y a surtout aliénation du sentiment et de la conduite. Une des plus intéressantes est cette impulsion morbide qui entraîne despotiquement le malade, en dépit de sa raison, malgré sa volonté, à un acte désespéré de suicide ou d’homicide. Avec quelle industrie, avec quel machiavélisme il consomme l’acte fatal dont il reconnaît et déplore l’atrocité, tous les spécialistes le savent, tous ont observé, décrit ces lamentables drames. « Comme le démoniaque du temps jadis, en qui l’esprit impur était entré, il est possédé par une puissance qui le contraint à une action dont il a la plus grande crainte et la dernière horreur, et, parfois, dans son affreuse agonie, lorsque, écrasé par cette lutte incessante contre l’épouvantable tentation et désespérant d’en sortir vainqueur, il consulte le médecin, son appel à la science dépasse tout ce qu’on peut imaginer de plus triste et de plus émouvant. » R***, chimiste distingué, poète aimable, se constitue lui-même prisonnier dans une maison de santé du faubourg Saint-Antoine. Tourmenté du désir de tuer, il suppliait Dieu de le délivrer de ce penchant si atroce dont il ignorait l’origine. Lorsqu’il sentait sa volonté prête à succomber, il accourait vers le directeur de la maison, qui lui liait les pouces l’un contre l’autre avec un ruban, et, par cette frêle ligature, réussissait à le calmer. Un jour cependant il essaya de tuer un des gardiens et finit par périr dans un accès de manie furieuse.

Il est une forme de la démence, appelée folie morale ou monomanie raisonnante, qui a toutes les apparences du crime et que les avocats invoquent souvent en faveur des gredins les plus avérés. Insensibilité morale du sujet, intelligence parfois déliée, subtilité extrême dans l’excuse de la conduite, incapacité de donner à sa vie une direction normale, de maîtriser ses passions, de provoquer le remords, voilà les traits particuliers de cette aliénation qu’on n’a pas manqué d’alléguer dans le procès de Charles Guiteau, l’assassin du président Garfield. Le docteur Folsom, qui l’a étudié avec soin, conclut qu’au moment du meurtre, Guiteau était sous