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toujours été dans l’infortune et la misère. L’idiot automatique ou absolu, réduit aux actes de la vie végétative, n’est qu’une non-valeur sociale ; l’idiot spontané ou partiel manifeste une volonté propre, quelques rudimens de facultés, et peut devenir capable de travail utile si, dès le plus jeune âge, on le soumet à une gymnastique intellectuelle qui développe les organes et réprime les mauvais instincts précoces. » Pas plus que celle des aveugles et des sourds-muets, cette éducation ne ressemble à l’éducation ordinaire[1], et, grâce aux médecins renommés qui dirigent les établissemens spéciaux d’Angleterre et des États-Unis, elle accomplit de véritables métamorphoses. À Earlswood, Darenth, Royal-Abert, les filles s’occupent des travaux d’aiguille et de ménage ; les garçons apprennent avec succès les métiers de vannier, menuisier, serrurier, cordonnier, tailleur, imprimeur ; d’autres se dirigeât vers la culture ; un certain nombre parviennent à se placer au dehors comme musiciens, dessinateurs, et à gagner honorablement leur vie. Après douze ans d’expérience à l’école du Connecticut, le docteur Knight affirme que 26 pour 100 des élèves deviennent des membres comparativement utiles de la société ; le docteur Howe, qui a dirigé vingt-sept ans l’institution du Massachusetts, écrit: « Plus des trois cinquièmes, sur 548 jeunes idiots inscrits comme élèves à notre école, se sont améliorés physiquement, moralement et intellectuellement. Ils ont acquis un plus haut degré de force et de vigueur ; ils sont arrivés à commander à leurs muscles et à leurs membres, se nourrissent, s’habillent eux-mêmes, savent se comporter avec décence ; leur gloutonnerie et leurs mauvais instincts ont disparu… Ils ont monté dans l’échelle de l’humanité. » Ainsi, l’étranger nous devance dans cette pédagogie spéciale, dont un Français, le docteur Seguin, a été le créateur avec MM. Félix Voisin et Delesiauve : en dehors de la colonie de Vaucluse, du service des jeunes idiots établi à la Salpêtrière, nous n’avons rien. Cependant, le conseil municipal de Paris, dont le budget est celui d’un petit état, et le conseil général de la Seine ont fait un louable effort en consacrant une somme de 3 millions à la création d’un établissement spécial à Bicêtre, sous la direction du docteur Bourneville, pour quatre cents jeunes idiots et épileptiques.

L’épilepsie, le morbus comitialis, morbus sacer, morbus herculeus des anciens, le mal de la terre, comme l’appelle énergiquement le peuple, a pris, elle aussi, les proportions d’un danger social : sur 38,000 épileptiques qu’on suppose exister en France (il y en a beaucoup, en effet, dont le pieux mensonge des familles cache le mal sous le nom de syncope à tous les yeux), 3,500 environ

  1. Seguin, Traitement moral, hygiène et éducation des idiots.