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se borne à constater brièvement le trouble mental dont il est témoin, presque jamais il ne fouille dans le passé de la famille qui, de son côté, n’a garde de dévoiler des antécédens fâcheux. Il faudra donc un vrai rapport médico-légal, détaillé, ne remontant pas à plus de huit jours ; vu l’urgence, on permettrait cependant le placement provisoire sur la présentation d’un rapport sommaire, à condition que le médecin dans un délai de quarante-heures, produisit le rapport complet. Afin d’obliger la personne qui poursuit le placement à éveiller elle-même l’attention de l’autorité, la demande d’admission serait, dans tous les cas, munie du visa du juge de paix, du maire, ou du commissaire de police. Quelquefois le malade résiste à son transfèrement, comme il arriva dans l’affaire Monasterio en 1883. Mlle Fidelia de Monasterio avait été enfermée deux fois à Charenton à la suite d’accès de manie, et son état mental la livrait presque sans défense à des calculs coupables. Muni d’un certificat médical insuffisant, son frère pénétra chez elle avec trois personnes, et, tandis qu’il saisissait, bâillonnait sa compagne, deux infirmiers passaient une camisole de force à la jeune Chilienne et l’emportaient malgré sa résistance. La présence du juge de paix, du maire ou du commissaire de police préviendrait de tels scandales.

La loi de 1838 reste muette au sujet de deux catégories de malades très dignes d’intérêt, ceux qui, pressentant eux-mêmes les signes précurseurs du délire, viennent frapper à la porte de l’asile, et ceux qu’on place à l’étranger ou réciproquement. Pour les premiers, la nécessité, l’humanité ont fait loi jusqu’ici : malgré la responsabilité qu’ils encourent, les directeurs d’établissemens n’ont jamais repoussé un vrai malade, et bien des malheurs ont été évités de la sorte. Quant aux internemens étrangers, la facilité des communications leur donne aujourd’hui une importance réelle, et il n’est presque pas de grand asile chez nos voisins où l’on ne rencontre quelque aliéné français. Comme ces placemens demeurent absolument ignorés de l’autorité publique et affranchis de toutes règles, ils donnent naissance aux abus les plus graves. Cette question internationale a été soulevée en 1880 par une dame anglaise, qui, d’après les médecins de son pays, fut indûment retenue dans une maison de santé de Paris pendant plusieurs années ; ses revenus, assez considérables, étaient touchés par son mari; et pour qu’elle rentrât en possession après sa mise en liberté, il fallut l’intervention des tribunaux anglais. En 1883, le préfet du Doubs suspendait le maire d’Indevilliers, coupable d’une séquestration arbitraire contre sa femme : celle-ci habitait depuis longtemps la Suisse, et c’est sur la simple attestation d’un médecin suisse qu’un médecin d’Indevilliers avait délivré le certificat au maire. Pendant trois mois, M. U... avait gardé l’arrêté préfectoral d’admission sans en faire usage ; mais,