Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il est question de fonder dans toutes les provinces des établissemens d’aliénés que le roi prendrait à sa charge, car la plupart de ceux qui existent méritent qu’on les appelle des renfermeries plutôt que des asiles. Parlant de Bicêtre, de la Salpêtrière, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt rapporte que la folie y est regardée comme incurable, « les fous n’y reçoivent aucun traitement; ceux qui sont réputés dangereux, on les enchaîne comme des bêtes féroces. » L’idée commençait à germer ; d’autres se chargèrent de la mûrir lentement.


II.

L’assemblée constituante posa le principe : la loi du 27 mars 1790 marque, en droit sinon en fait, la fin du régime des cachots ; pour la première fois, le législateur français appelle l’aliéné un malade; pour la première fois, il invite la science médicale et l’autorité publique à agir de concert. Rencontrant des insensés au nombre des victimes des lettres de cachet, il veut assurer leur sort en même temps que leur délivrance. Malheureusement il oublie de dire à qui appartiendra le droit de séquestration, d’organiser des moyens efficaces de traitement, et, après comme avant, l’aliéné demeure sous le régime de l’arbitraire : l’arrestation par la police, le dépôt dans un hôpital, à défaut d’hôpital dans une prison, le droit absolu de la famille, sont les seules ressources fournies par la prévoyance sociale. Lorsqu’en 1792 Pinel entre à Bicêtre, il y trouve les aliénés relégués dans des cabanons, enchaînés, mal vêtus, mal nourris, frappés par des gardiens sans pitié. Au point de vue de la sécurité publique, on continue de les assimiler aux animaux, et le code pénal va s’inspirer de cette disposition en déclarant passibles d’une amende ceux « qui auront laissé vaguer des fous ou des furieux étant sous leur garde, ou des animaux malfaisans ou féroces. » Les auteurs du code civil de 1803 ne voient en eux que des êtres qu’il faut traiter comme des mineurs, empêcher de nuire aux autres et à eux-mêmes. Sous la Restauration, en 1819, une excellente circulaire du ministre de l’intérieur signale le mal, trace le programme de la médecine aliéniste. Mais la maxime du moraliste reste d’une vérité éternelle : les gouvernemens discernent le bien, l’approuvent, le recommandent et retombent dans l’ornière de la routine. Malgré l’initiative généreuse de Pinel et de son école, malgré tant de bonnes intentions, les commissions travaillaient dans le vide, les programmes s’égaraient dans les cartons ministériels, le progrès légal ne répondait nullement au progrès moral, l’effort de l’état à l’effort des particuliers. L’enquête de 1833 constate que la négligence où languissent