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le ciel des espérances, ni l’enfer des désirs réalisés. » Niera-t-on les nouvelles maladies mentales qui surgissent continuellement, la paralysie générale progressive, la terrible influence de l’alcool, du démon alcool, sur les populations de nos villes et même de nos campagnes[1]? A l’asile de La Roche-sur-Yon, en pleine Vendée, 25 pour 100 des individus admis de 1873 à 1878 sont des alcooliques; à Paris[2] sur 3,000 aliénés placés d’office chaque année, on compte plus de 1,300 alcooliques.

D’autres au contraire, estiment cette doctrine injurieuse pour la civilisation et n’admettent pas l’augmentation de la folie. Si on l’observe rarement chez les races primitives, rien, disent-ils, ne prouve qu’elle n’existe pas; mais ici, les faibles de corps et d’esprit, ne rencontrant aucune protection, ont moins de chances de vivre, de se survivre dans des descendans : on les tue ou ils meurent. La statistique, trop souvent, n’est que l’art de grouper les chiffres et de tromper ennuyeusement le public. Eût-elle raison en tous points, on ne saurait en tirer des conclusions infaillibles, puisque cette science n’existait pas au siècle dernier et ne nous fournit qu’un des termes de la comparaison. Oui, la population des asiles augmente, mais beaucoup de causes sollicitent les familles d’aller à eux : la faible distance à parcourir pour y arriver, le mouvement philanthropique en faveur des fous, la confiance toujours croissante qu’inspirent les aliénistes, la longévité plus grande des fous dans les asiles, l’admission de vieillards en enfance, d’imbéciles inoffensifs, infirmes de l’intelligence dont la véritable place serait dans les hospices d’incurables. Si, dans les grandes villes surtout, les alcooliques, les paralytiques, les persécutés sont bien plus nombreux qu’autrefois, le chiffre des idiots diminue ; et, quant aux crétins, qui naguère encore n’étaient pas moins de 15,000, il sera bientôt difficile d’en rencontrer, même dans les gorges des Alpes et des Pyrénées. Comment oserait-on affirmer la rareté de la folie humaine

  1. Certains aliénistes professent que les grèves diminuent de moitié les admissions pour les hommes dans les asiles, à cause de la privation des salaires qui empêche les ouvriers de s’enivrer, de se livrer à la débauche.
  2. La proportion des aliénés se trouve naturellement plus forte à Paris qu’ailleurs. Le département de la Seine a à sa charge 8,200 aliénés, soit, pour une population de 2,400,000 âmes, un aliéné sur 300 habitans, et une dépense totale de 4,500,000 fr. Depuis 1801, la population aliénée a plus que septuplé, tandis que, durant la même période, la population générale s’est à peine triplée. Les 3,000 malades admis en 1883 se répartissent de la manière suivante au point de vue de l’état civil : mariés 1,100; célibataires 1,166, veufs ou veuves 324; état civil inconnu, 102. Au point de vue de la profession; métiers manuels et mécaniques 856; gens à gages 437; professions industrielles 317; sans profession 306; professions diverses 292; professions inconnues 185; professions libérales 129; rentiers et propriétaires 74; professions agricoles 62; filles publiques 8; militaires et marins 14.