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entraînement de jeunesse<ref> M. Janet, qui a eu le mérite de mettre en lumière cette première philosophie de M. Cousin, d’après des documens oubliés ou inédits, la préfère à l’œuvre de sa maturité. J’avoue qu’elle me laisse froid. M. Cousin n’a été vraiment lui-même que dans les écrits auxquels il s’est efforcé de donner une forme définitive. C’est par ces écrits seuls qu’il a exercé une influence durable et qui méritait de durer. On affecte de n’y voir qu’une philosophie de sens commun, revêtue d’un beau langage. C’est en faire un double éloge. Ni le sens commun, ni le beau langage ne sont choses à dédaigner. Il y a d’ailleurs plus d’une partie originale dans cette philosophie de sens commun, et M. Janet lui-même en a excellemment résumé les parties neuves et solides: l’idée de l’éclectisme, la psychologie reconnue comme le fondement de la philosophie, la réduction des idées rationnelles aux idées de cause et de substance. Le renouvellement même de l’idéalisme platonicien et du spiritualisme cartésien n’est pas une simple reproduction, mais une transformation. < :ref>. Sa doctrine et sa méthode n’étaient donc rien moins qu’éclectiques. Ce qui subsiste et ce qui doit subsister de l’éclectisme, ce n’est pas une doctrine ni même une méthode déterminée, c’est un esprit général appliqué à l’étude et à l’enseignement de la philosophie. M. Janet a su très bien définir cet esprit général tel que M. Cousin avait eu le mérite de le concevoir, sinon de lui rester toujours fidèle.

La philosophie, dans toutes ses parties et dans tous ses systèmes, n’est proprement que l’interprétation de données psychologiques. Tous les philosophes ont puisé dans le fond commun de la conscience; tous ont eu la prétention de l’embrasser dans son ensemble; mais chacun, suivant la tendance particulière à laquelle il obéissait consciemment ou inconsciemment, s’est attaché de préférence à telles ou telles données et a négligé ou méconnu les autres. De là leurs erreurs; mais de là aussi les services que tous les systèmes, même les plus incomplets et les plus faux, ont rendus à la philosophie. On peut rejeter les systèmes qui expliquent tout par la sensation ; mais on peut leur emprunter une étude approfondie de la sensation qu’on demanderait en vain aux systèmes contraires. On peut repousser une morale tout utilitaire; mais on doit supposer que le mobile de l’intérêt, dans toutes les idées et tous les sentimens qui s’y rapportent, n’a jamais été mieux étudié que par les partisans d’une telle morale et, pour l’analyse de ces sentimens et de ces idées, on ne peut mieux s’instruire qu’à leur école. L’éclectisme de M. Cousin n’est autre chose que cet appel impartial à tous les systèmes pour éclairer la psychologie et, par la psychologie, la philosophie tout entière.

L’éclectisme ainsi entendu n’est plus l’esprit d’une seule école : toutes les écoles peuvent le revendiquer et toutes le mettent en pratique. Des jugemens beaucoup plus sévères que celui de M. Janet ont été portés de nos jours sur la philosophie de M. Cousin par M. Ravaisson, par M. Vacherot, par M. Fouillée, par M. Renouvier, sans parler des purs positivistes et des matérialistes. Ce qui domine dans