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lui-même pour apprendre à se conduire, en apprenant à se connaître. L’histoire n’y est que l’indication très sommaire de quelques grandes doctrines et de quelques grands noms qui appartiennent à toute l’humanité civilisée. L’enfant du peuple, pas plus que l’enfant de la bourgeoisie, ne doit être tenu dans l’ignorance des questions capitales qui ont occupé les plus illustres penseurs de tous les temps. L’histoire des idées ne lui est pas moins utile que l’histoire des faits, si l’une et l’autre savent se dégager de tous les détails qui n’ont d’intérêt que pour un plus haut degré de culture.


VIII.

Notre enseignement philosophique garde partout, depuis les facultés des lettres jusqu’à l’école primaire, un même caractère. Un mot le résume; c’est le nom même que M. Cousin avait donné à sa méthode: le nom d’éclectisme. Ce mot a été souvent mal compris. On y a vu, soit l’indifférence pour la vérité pure, soit un choix arbitraire entre les doctrines, soit même un calcul intéressé en vue de se concilier également les partisans des doctrines contraires. M. Cousin lui-même n’a pas toujours défini avec une précision suffisante ce qu’il entendait par l’éclectisme. Il semblait croire à la possibilité d’édifier un système définitif dont les matériaux seraient empruntés à tous les systèmes et qui serait à la fois plus complet et plus durable que chacun d’eux, parce qu’il reposerait sur de plus larges bases. Hélas! L’œuvre personnelle de M. Cousin, comme le constate M. Janet, a vite prouvé, une fois de plus, qu’il n’y a rien de définitif en philosophie. Ce n’était pas même, d’ailleurs, une œuvre éclectique dans aucun des sens qu’on peut donner à ce mot. Loin de chercher la conciliation de tous les systèmes, M. Cousin a commencé par combattre les systèmes qu’il flétrissait du nom de sensualistes et il ne s’est jamais départi de son hostilité contre eux. Au fond, comme le lui reproche avec raison M. Ravaisson, il ne procédait que de Platon et de Descartes ; il professait beaucoup d’admiration pour Aristote et pour Leibniz, mais il ne leur a presque rien emprunté ; il doit peu à ceux qu’il appelait ses trois maîtres : Laromiguière, Royer-Collard, Maine de Biran lui-même, dont il a le premier publié les œuvres ; il doit moins encore à Locke et à Condillac, qu’il a toujours traités en adversaires. Il s’était assimilé quelques théories de Kant, de Schelling et de Hegel, et elles tiennent une grande place dans ses cours et dans ses écrits de la restauration ; mais il les a en partie abjurées dans ses écrits ultérieurs, non par un excès de prudence, comme on le croit et comme le dit encore M. Janet, mais plutôt, à mon avis, parce qu’elles n’avaient été pour lui que l’objet passager d’un