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des tyrannies mortes ou mourantes ; et voilà que le matérialisme, son ennemi né, le supplante et lui enlève une large part de l’héritage. Cette substitution inattendue est une preuve que l’éducation philosophique du pays est à peine ébauchée et que la conception de la liberté politique est encore à l’état rudimentaire dans un grand nombre d’esprits. » M. Vessiot s’efforce de préparer, à l’école primaire elle-même, cette « éducation philosophique du pays » dont il attend la renaissance du spiritualisme. Il ne la demande pas seulement à des leçons, suivies sur les différens articles du programme officiel ; il compte sur tous les exercices ou, pour mieux dire, sur toute la vie de l’école pour la culture intellectuelle et morale des enfans, et il sait, en même temps, par une longue expérience de l’enseignement et de l’éducation, dans quelles limites une telle culture peut être confiée aux maîtres et reçue avec fruit par les élèves.

Avant tout, en effet, il y a ici une question de mesure. Les maîtres et les maîtresses de nos écoles primaires ne sont pas appelés à jouer le rôle de nos agrégés de philosophie. Eussent-ils cette ambition et la capacité nécessaire pour la soutenir, le grain qu’ils sèmeraient dans des cerveaux de onze à treize ans ne pourrait pas germer. Le programme officiel écarte sagement toutes les questions de philosophie qui ne visent pas directement à la pratique. L’esprit de l’enseignement est philosophique ; la philosophie proprement dite en est absente. Or, cet esprit général d’une morale rationnelle, nos instituteurs et leurs élèves peuvent plus aisément qu’on ne le croit se l’assimiler, dans la mesure qui convient à l’enseignement primaire. J’ai assisté à des leçons et à des conférences de philosophie faites à des institutrices aussi bien qu’à des instituteurs. J’ai été frappé de l’intérêt intelligent que savait y apporter un auditoire en apparence mal préparé. J’ai été frappé également de la prudence avec laquelle étaient discutés, dans des congrès pédagogiques, les questions les plus délicates que soulève cet enseignement philosophique et moral. On a pu reprocher à quelques instituteurs, sous des influences qui les rendent en grande partie excusables, des écarts plus ou moins graves au point de vue politique ; mais, dans leur enseignement même, ils ont acquis, eux aussi, ce « tact professionnel » dont M. Janet fait honneur aux professeurs de l’enseignement secondaire.

Dans des limites plus étroites, l’enseignement moral de l’école reçoit la même direction que l’enseignement philosophique du lycée. Il est psychologique et historique. Il ne comporte, bien entendu, ni un cours suivi de psychologie, ni une énumération et une exposition de tous les systèmes. La psychologie n’y est qu’un appel constant à la conscience de l’enfant, une invitation à rentrer en