Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

philosophie scolaire, telle qu’il l’entend, est surtout une direction pratique de la pensée dans toutes les sphères de la vie privée et de la vie publique. Elle est ouverte à toutes les questions sociales. J’en accepterais, pour ma part, tout l’esprit, mais je ne la voudrais pas aussi envahissante. Je ne lui demanderais, pour l’enseignement secondaire, que des « clartés de tout; » je réserverais la pleine lumière pour l’enseignement supérieur.

Je m’unis du moins sans réserve à M. Fouillée quand il combat, au nom des principes et des intérêts généraux de la société moderne, l’opinion très répandue aujourd’hui qui voudrait fermer les lycées et les collèges à tout enseignement philosophique. S’il n’y a plus de classes dirigeantes dans le sens étroit du mot, il y a toujours une élite cultivée qui fait l’opinion et, par l’opinion, fait la loi. Or, l’opinion et la loi, dans une démocratie qui a secoué le joug de toute tradition, supposent une culture philosophique. En vain dira-t-on qu’il faut revenir aux traditions. Nul aujourd’hui ne voudrait accepter aucune tradition, dans un sens ou dans un autre, sans lui demander ses raisons. L’esprit philosophique garde ses droits sur les legs du passé comme sur tout le reste. Il faut donc une éducation de l’esprit philosophique, et il la faut sur la base la plus large. Celle de l’enseignement supérieur est manifestement trop étroite. Il ne s’adresse, dans la portion cultivée de la nation, qu’à une élite plus restreinte, et sa clientèle même ne forme pas un ensemble, mais diverses catégories d’élèves, qui se partagent entre les facultés pour leur demander avant tout une instruction professionnelle. La bourgeoisie française, qu’il ne faut pas craindre d’appeler par son nom, même dans une démocratie, se forme par l’enseignement secondaire : c’est donc à l’enseignement secondaire qu’elle doit demander sa culture philosophique.

M. Fouillée a encore pleinement raison quand il se plaint de l’insuffisance de cette culture philosophique dans la section de l’enseignement secondaire qui prépare au baccalauréat ès sciences et à quelques-unes des grandes écoles. Les futurs ingénieurs et les futurs officiers n’ont pas moins besoin que les futurs avocats et les futurs médecins de l’esprit philosophique. Il font souvent à cet esprit une très large part dans leurs études ultérieures et les idées fausses dans lesquelles beaucoup se laissent entraîner ne rendent que trop manifestes les lacunes de leur instruction première. Il importe donc à leur carrière même, il importe surtout au rôle considérable qu’ils sont appelés à jouer dans la société, que l’esprit philosophique reçoive de bonne heure chez eux une direction éclairée.

Bien que réduite à la morale dans l’enseignement secondaire spécial