Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préparation nécessaire au devoir d’impartialité d’un souverain[1]. Dans notre société démocratique, le souverain, c’est la nation tout entière. Rien n’est donc plus utile, pour l’éducation nationale, que d’éclairer, par leur histoire, ces grandes questions dont on n’a pas cessé de disputer, soit parmi les philosophes de profession, soit dans la masse même et jusque dans les derniers rangs de la nation. Il faut, dans l’étude de toutes les questions philosophiques, une méthode historique ; mais cette méthode elle-même a besoin d’être éclairée par une histoire suivie de la philosophie. De là l’importance que l’histoire de la philosophie a prise dans notre enseignement supérieur. Elle a aujourd’hui à la Sorbonne deux chaires magistrales sur trois, et elle s’est fait également une part prépondérante dans les cours complémentai es et dans les conférences. Le plan de M. Boutroux, en étendant à toutes les facultés les deux chaires historiques, leur conserve les mêmes attributions : philosophie ancienne, philosophie moderne. L’enseignement supérieur couronne notre enseignement classique, dont l’étude de l’antiquité grecque et latine forme la base. Il est donc juste que l’enseignement philosophique repose sur la connaissance de la philosophie ancienne. Rien n’est plus propre que cette connaissance à faciliter l’intelligence des théories modernes ; car il n’est pas une de ces théories qui n’ait son prototype dans quelqu’un des systèmes conçus par le génie philosophique des Grecs.

Les deux chaires que M. Boutroux assigne à la philosophie dogmatique ont pour objet : l’une, la psychologie ; l’autre, la philosophie générale. Cette division consacre l’importance prépondérante qu’a prise la psychologie dans la philosophie contemporaine. Le professeur de philosophie générale traitera, suivant ses préférences, suivant la direction particulière de ses études, telle ou telle branche de la philosophie : la logique, la morale ou la métaphysique; mais il est une science philosophique pour laquelle un professeur spécial est nécessaire, suivant M. Boutroux, parce qu’elle doit toujours être représentée dans l’enseignement supérieur : c’est la psychologie. En effet, la philosophie, telle qu’on l’a toujours conçue jusqu’à nos jours, n’est pas autre chose que la réflexion de l’esprit humain sur sa propre évolution. Elle a donc sa base dans la connaissance de l’esprit humain; elle est, dans toutes les questions, une interprétation de données psychologiques. L’étude historique des questions n’est elle-même qu’une étude psychologique; car tous les systèmes reposent au fond sur des faits psychologiques diversement expliqués. L’esprit humain retrouve dans chacun d’eux quelqu’une des phases de son évolution. L’étude historique et l’étude psychologique

  1. Lettre au pape Innocent XI sur l’instruction du dauphin, § 7 : la Philosophie.