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tout l’enseignement philosophique de la France. Ces exigences, nous l’avons montré, étaient suscitées par le monopole universitaire ; elles trouvaient également un prétexte dans la prétention d’une seule philosophie au monopole de l’enseignement officiel. La liberté d’enseignement en dehors de l’Université leur a ôté leur principal mobile; la liberté d’enseignement dans l’Université elle-même a contribué à les faire taire. Non pas que la liberté philosophique soit expressément et pleinement reconnue dans l’Université de France. L’idée d’une doctrine d’état subsiste toujours ; mais, après M. Cousin, elle n’a trouvé, parmi les philosophes, aucun représentant autorisé. Les doctrines entre lesquelles se partagent les professeurs ne peuvent compter que sur leur valeur propre, et si le a spiritualisme traditionnel, » comme on appelle aujourd’hui l’école de M. Cousin, garde l’avantage, il le doit, non peut-être à sa supériorité intrinsèque et absolue, mais au mérite qu’aucun esprit impartial ne saurait lui refuser de répondre mieux qu’aucune autre doctrine à l’état général des esprits dans la société française. L’absence de profondeur que lui reprochent ses adversaires est une part de ce mérite. Une philosophie plus profonde répugne à la timidité du bon sens français. C’est aussi une force pour le spiritualisme, tel que le concevait M. Cousin, de s’être interdit toute apparence de désaccord avec les croyances religieuses. L’empire de ces dogmes s’est affaibli dans les consciences ; mais beaucoup lui restent soumises et très peu l’ont absolument rejeté. Ce « catholicisme suivant le suffrage universel » qu’un libre penseur a su si bien définir, est toujours, je ne dirai pas la foi, mais le lien moral de la très grande majorité de la nation. Les doctrines léguées par M. Cousin à ses successeurs sont la philosophie de ce catholicisme latitudinaire, et Littré, étranger à cette philosophie comme au catholicisme lui-même, lui eût reconnu les mêmes titres au libre gouvernement des esprits.

Il subsiste aussi une légende sur cette persistance de la philosophie de M. Cousin dans notre enseignement public. On se figure qu’elle n’a pas cessé d’être imposée aux professeurs, même après sa mort. Je rencontrais, il y a quelques années, cette légende dans un article d’un jeune professeur de philosophie et j’avais cru devoir en faire justice[1]. M. Janet lui a opposé à son tour la vérité des faits. La direction absolue de la philosophie universitaire a été enlevée à M. Cousin, en 1846, lors de la réorganisation du conseil royal de l’Université. Il n’a plus gardé, pendant les deux dernières années de la monarchie de juillet, qu’une autorité prépondérante encore, qui subsista, mais amoindrie, après la révolution de février,

  1. Revue internationale de l’enseignement des 15 novembre 1881 et 15 janvier 1882.