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n’a pas craint de revendiquer comme un honneur pour l’Université la diversité des doctrines enseignées par ses professeurs. « Il ne faut pas croire, disait-il à la tribune de la chambre des députés[1], que, dans l’Université, il y ait un corps absolu de doctrines. L’Université se recrute dans toutes les opinions. Il y a dans son sein des représentans des idées les plus diverses : des idées dites ultramontaines, des idées gallicanes, de la libre pensée ; il y a des indifférens, des hommes qui ne pensent qu’à la science pure; il y a toutes les opinions dans l’Université, et c’est là ce qui fait son impartialité. »

M. Waddington ne faisait d’ailleurs que constater un fait, qui ne s’était pas produit seulement sous son administration libérale, que tous ses prédécesseurs et tous ses successeurs ont pu constater comme lui et contre lequel aucun d’eux, même les moins libéraux, n’a pu efficacement réagir. La même variété de doctrines existait, sous la dictature de M. Cousin, dans l’enseignement philosophique de l’Université, et elle se dissimulait si peu que M. Cousin lui-même était personnellement et publiquement attaqué, dans tout l’ensemble de ses théories, par des professeurs de philosophie des collèges de Paris. L’administration supérieure ne professait pas moins l’idée d’une doctrine d’état et elle a continué à la professer jusqu’à nos jours, malgré son impuissance à la réaliser dans la pratique. C’est sur cette idée que reposent les programmes d’enseignement et d’examen, quand ils ne contiennent pas seulement des séries de questions, mais, sur quelques-unes de ces questions, des solutions toutes faites. M. Janet fait remarquer que le premier programme de philosophie rédigé par M. Cousin, ou sous son inspiration, ne contenait que sur un point l’indication impérative d’une solution : c’est la « nécessité de commencer l’étude de la philosophie par la psychologie. » C’est plutôt une règle de méthode qu’un point de doctrine, mais M. Cousin attachait à cette règle une importance capitale ; il y voyait le point de départ de la révolution philosophique dont il prétendait être le promoteur. C’était donc bien sa propre philosophie qu’il imposait à l’enseignement public, et, malgré l’autorité sans partage dont il resta investi jusqu’en 1848, ses efforts furent impuissans. Il n’a pas réussi à bannir de l’enseignement public les doctrines rivales et il a vécu assez longtemps pour voir soit ses propres élèves, soit les élèves de ses élèves, s’écarter de la voie qu’il avait tracée. Il n’a fait qu’assumer une responsabilité qui lui a été amère pendant toute la dernière partie de sa vie et qui continue à peser sur sa mémoire.

M. Janet a fait très justement la part de la légende dans la responsabilité posthume de M. Cousin. On croit généralement aujourd’hui

  1. Séance du 3 juin 1876, Discussion du projet de loi sur la collation des grades.