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privé ne doit pas se laisser guider par ces argumens de polémique. Elle taxera d’immorales, non des théories générales qui, depuis la naissance de la philosophie, n’ont pas cessé de se débattre entre des philosophes également honnêtes, mais la justification particulière et directe d’actes immoraux. Elle écartera comme contraire à la constitution et aux lois, non telle doctrine sur le fondement humain ou divin, expérimental ou rationnel de la société et de la législation, mais une attaque positive contre les institutions du pays dans leur ensemble ou dans telle de leurs parties.

Pour tout le reste, l’état doit laisser aux familles la police d’un enseignement dont il n’a pas la responsabilité. Je voudrais aussi, dans des matières où la conscience est si directement intéressée, que l’état laissât aux familles toutes facilités pour s’assurer le bénéfice de l’enseignement privé. On croit avoir assez fait pour la liberté d’enseignement en autorisant la création d’établissemens privés de tous les degrés et le libre choix des familles entre ces établissemens et les écoles officielles. Une fois le choix fait, l’enfant appartient tout entier à l’établissement choisi. Ce n’est pas assez pour la liberté. Je voudrais qu’on ne fût pas astreint à suivre tous les cours d’une même classe dans un même établissement. Pourquoi ne pourrait-on pas demander à un professeur de l’état l’enseignement scientifique ou l’enseignement historique et recevoir, dans le même temps, près d’une école libre ou à la maison paternelle, l’enseignement philosophique? Pourquoi même, dans une ville comme Paris, où l’état possède plusieurs collèges, ne pourrait-on pas appartenir à l’un pour certains cours et à un autre pour d’autres cours? Pourquoi, par exemple, un père de famille ne pourrait-il pas choisir à la fois pour son fils le professeur d’histoire de Henri IV et le professeur de philosophie de Louis-le-Grand ? Ce seraient sans doute de petites conquêtes pour la liberté; mais elles seraient sans péril pour la société et elles ne seraient pas sans prix pour les familles.


III.

L’état ne doit se faire juge des doctrines de l’enseignement privé que dans des limites très restreintes; ses droits sont évidemment plus étendus sur l’enseignement donné en son nom et sous sa responsabilité. Doit-il cependant, comme le croyait ou paraissait le croire M. Cousin, avoir une doctrine propre, se faire, en un mot, sa philosophie? Si telle a été l’opinion de M. Cousin, elle est loin de lui être personnelle. Sans remonter jusqu’à l’ancien régime, l’idée d’une doctrine de l’état a présidé à l’institution de l’Université impériale et, depuis quatre-vingts-ans, un seul grand-maître de l’Université, à notre connaissance, l’a formellement désavouée. C’est M. Waddington, qui