Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/934

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inscription : Urbi et Orbi ; le travail agricole en commun, disait-il, y est admirablement organisé, il opère de nombreuses guérisons, « pendant que l’aliénation des nobles, qui rougiraient du travail des mains, est presque toujours incurable. » Un trait particulier de l’ancien asile espagnol, c’est l’habitude de suppléer à l’insuffisance des revenus au moyen de l’aumône, et même de la mendicité pratiquée par les aliénés. Guevarra nous dépeint, « dans le vestibule, les visiteurs entourés des fous en convalescence, qui leur demandent l’aumône pour ceux qui sont furieux. » On avait aussi l’usage d’envoyer aux grandes cérémonies religieuses un cortège d’aliénés, vêtus d’habits variés de jaune et de bleu, un fichu au cou et un bâton à la main. Les folles de l’asile de Saragosse assistaient aux processions, dans le costume consacré, portant le rabat, signe de leur dégradation intellectuelle, un bouquet de fleurs à la main ; la députation s’avançait au son du tambour, précédée de sa bannière aux couleurs bleu bordé de brun, qui signifiaient en langue symbolique : patience en l’adversité[1]. Insuffisans comme nombre, installés d’une manière défectueuse, les asiles espagnols ne renferment aujourd’hui que 3,700 aliénés ; il semblerait qu’on ait alors, comme jadis, oublié le mot prêté à Charles-Quint sur ses sujets d’Espagne qui, disait-il, sont plus fous qu’ils ne paraissent : parecen sabios y no lo son.


VI

Pas plus que la Suisse, l’Espagne et l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie ne possèdent une législation générale aliéniste, et leur régime repose sur des ordonnances, instructions, statuts qui varient d’état à état, souvent même d’un établissement à l’autre. Au reste, on aurait tort de s’imaginer que ce mot de législation générale ait des vertus magiques et agisse comme un talisman : une bonne ordonnance vaut mieux qu’une mauvaise loi, votée par des chambres ignorantes ou partiales à grand renfort de discours ;

  1. Cervantes était déjà un moraliste merveilleux, un peintre éloquent du cœur humain, un écrivain inimitable ; un médecin espagnol a ajouté un nouveau titre à sa gloire. Le docteur Morejon l’a revendiqué comme un des plus intéressans ornemens de la médecine, pour avoir décrit avec précision cette espèce de folie qui a nom monomanie : « Par cette analyse toute scientifique, ajoute-t-il, il a dépassé Arétée lui-même, le Raphaël de la médecine ; il a tracé leur route aux Pinel et aux Broussais. » Bref, l’enthousiasme du docteur n’a pas de bornes ; une seule chose chagrine ce commentateur ingénieusement fantaisiste, c’est que Cervantes n’ait pas donné, « comme complément de cette vaste étude, l’ouverture et l’autopsie du corps de don Quichotte. »