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loi aliéniste, et dont la présence à Gheel a arraché un cri d’alarme aux partisans les plus convaincus du système familial.

Après quarante ans d’exercice, le gouvernement hollandais, a, lui aussi, voulu réviser sa loi aliéniste, et les chambres ont voté en 1883 un projet préparé par les fonctionnaires les plus éminens de l’ordre médical et de l’ordre judiciaire. L’association des médecins aliénistes du royaume l’avait étudié avec soin et, dans une pétition à la chambre haute, elle formulait un certain nombre de griefs : suprématie trop marquée accordée aux formes judiciaires, subordination des médecins aux magistrats, intérêt de la santé du malade rejeté au second plan. Que la loi nouvelle s’occupe des aliénés traités hors des asiles dont l’ancienne ne tenait aucun compte, qu’elle mette un frein aux agissemens de personnes pour lesquelles le traitement ou plutôt le non-traitement d’un fou constitue une spéculation lucrative, qu’elle ordonne la création d’un asile d’état destiné aux aliénés criminels et prenne des mesures sérieuses pour l’administration des biens, rien de mieux ; mais l’association médicale trouve fort mauvais que le procureur du roi ait eu tout temps le droit d’entrer dans l’établissement, et soit exposé à interpréter d’une façon erronée bien des paroles et des actes des malades, qui avec des explications fort plausibles, justifieront leurs actes délirans. N’y a-t-il pas, observe le docteur Cowan, quelque chose d’injurieux pour les médecins à les placer constamment sous le contrôle « d’appréciateurs incompétens et étrangers à la science ? » Ne s’expose-t-on pas à des scènes regrettables si l’on transforme les asiles en cours de justice ? — L’association voulait encore que l’état se rendit propriétaire de tous les asiles, que les médecins eussent rang de fonctionnaires publics, que le maire pût autoriser les placemens volontaires, tandis qu’autrefois il fallait recourir au président du tribunal, aujourd’hui au juge de paix. Elle s’indigne surtout à la pensée qu’on autorise les magistrats à recueillir les plaintes des malades en dehors des médecins des asiles, et le docteur Cowan, prenant la chose au tragique, s’écrie avec emphase : « Ceux-ci ne se trouvent-ils pas traités comme des hommes dangereux et disposés aux abus de pouvoir ? Pinel, l’aliéniste modèle, a brisé les chaînes dont les aliénés étaient couverts : ne pourrait-on pas dire que nos législateurs modernes ramassent ces chaînes pour les faire porter aux médecins aliénistes ? » Ne voilà-t-il pas des mots singulièrement plus grands que les choses qu’ils représentent, et quelque sceptique ne sera-t-il pas tenté de répondre que les lois ont pour fondement la défiance, que pas plus que la justice la science aliéniste n’a le privilège de l’infaillibilité, mais que toutes deux s’éclairent et se contiennent l’une l’autre ?