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Les scandales de l’asile privé d’Evere éveillèrent l’attention du public : deux aliénés portés comme ayant succombé à des maladies chroniques étaient morts en réalité à la suite d’amputations motivées par la congélation des pieds ; un aliéné choisi comme gardien par le directeur avait maltraité deux de ses compagnons au point d’amener la mort ; le directeur, le médecin, les gardiens encoururent des peines sévères pour homicide par imprudence, blessures et faux en écritures ; la maison d’Evere était signalée depuis longtemps comme très mal tenue, et n’avait échappé à sa fermeture que grâce à l’extrême bienveillance des autorités locales. Le 25 janvier 1874, le parlement belge a voté une nouvelle loi qui contient d’importantes additions : nomination du personnel médical de tous les asiles par le gouvernement, désignation d’un établissement spécial pour les aliénés criminels, mise à la charge de l’état des dépenses de ceux-ci. Désormais toute admission dans un asile, qu’elle ait lieu sur la demande de l’autorité ou de la famille, doit être accompagnée d’un certificat médical détaillé, et dans les vingt-quatre heures, le directeur informe par écrit le gouverneur de la province, le procureur du roi, le juge de paix du canton, le bourgmestre de la commune, le comité de surveillance de l’établissement. Quant à cette célèbre colonie de Gheel, qui repose sur ce qu’on appelle le patronage familial, elle a déjà fait, ici même, l’objet d’une étude approfondie qui permet de ne pas s’y arrêter[1]. On l’a justement définie : une agglomération d’aliénés inoffensifs dans un immense asile aux portes ouvertes. Exaltée par certains touristes comme le paradis des fous, critiquée impitoyablement par d’autres, elle semble ne mériter « ni cet excès d’honneur ni cette indignité, » devoir demeurer une spécialité propre au pays qui l’a vu naître, ne se prêtant guère aux contre-façons, aux essais d’imitation dans des milieux différens. Aux avantages de la circulation libre, de la vie de famille, d’une dépense moindre, nos aliénistes opposent les inconvéniens qu’offrent une surveillance insuffisante, l’absence d’un service médical bien organisé, l’admission des pensionnaires libres, des indigens hospitalisés envoyés d’Anvers, de Bruxelles, gens trop souvent perdus de mœurs, capables de tous les excès, nullement soumis aux prescriptions de la

  1. Voir dans la Revue du 15 février 1885, l’étude de M. Henri de Varigny : Gheel ; une Colonie d’aliénés. Une colonie sur le modèle de Gheel vient d’être installée avec succès à Liernoux (province de Liège, Belgique), sous l’inspiration de M. Oudard, inspecteur général des aliénés du royaume. Les aliénés ne portent aucun uniforme distinctif, partagent les travaux et les plaisirs des cultivateurs, circulent librement dans les rues, vont au cabaret ou à l’église.