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l’oncle Tom, fit pour les esclaves des États-Unis. Le docteur Tuke raconte ce touchant épisode : « Une dame américaine bien connue, miss Dix, qui consacrait toute sa vie à la défense des intérêts des aliénés, visita l’Ecosse en 1855, et j’ai pu recueillir de sa bouche, à son retour de cette expédition philanthropique, le récit de l’abandon cruel où elle avait vu les aliénés indigens. Elle produisit tant d’effet par ses visites, ses remontrances et par l’assurance qu’elle ne manquerait pas de dire la vérité en haut lieu, à Londres, qu’un fonctionnaire d’Edimbourg résolut de prendre les devans sur l’envahisseuse américaine. Prévenue à temps, miss Dix fut à la hauteur des circonstances : elle abandonna en toute hâte le théâtre de ses observations, prit la malle de nuit et fit son apparition, dès le lendemain, chez le ministre de l’intérieur, pendant que le monsieur d’Edimbourg était encore sur les grandes routes sans se douter qu’elle le précédât. » À sa voix, le ministre s’émut, nomma une commission royale dont l’enquête eut pour résultat le bill de 1857 : rien n’entravait la liberté d’action du parlement, car le terrain n’était pas encombré par d’antiques institutions ; sur cette table rase on put bâtir un édifice d’un style unique, harmonieux, habilement conçu et exécuté d’après les règles d’un art consommé.

Dès lors, point d’aliénés de la chancellerie, point d’inquisitions, de masters, ni de visitors : à la tête du service, un bureau central (Board of commissioners in lunacy for Scotland), formé de cinq membres nommés par la reine, chargé de régler toutes les questions, investi de pouvoirs plus étendus encore que ceux de leurs collègues anglais. Aucun placement ne saurait avoir lieu dans un workhouse (maison de pauvres) sans leur autorisation ; leurs visites, quand il s’agit d’aliénés placés chez des particuliers comme pensionnaires isolés, sont obligatoires et s’adressent à tous, indigens ou non. La protection des biens regarde d’abord les tribunaux ordinaires, qui, s’il y a lieu, nomment un administrateur, puis les commissioners, qui s’occupent de la gestion de celui-ci. Ainsi l’autorité judiciaire et l’autorité administrative se prêtent un mutuel concours dans l’intérêt du malade ; seulement la chimère de la justice gratuite avait hanté sans doute le cerveau du législateur de 1857, car la procédure d’interdiction est assez coûteuse et ne saurait convenir pour celui dont les ressources sont limitées.

Le bureau des commissioners a lui-même formule les règles de placement des malades dans ses rapports annuels et il convient d’en donner un aperçu. L’état ne s’occupe point des aliénés non indigens tant qu’ils habitent avec leur famille et qu’on n’a pas de raison de supposer qu’elle les maltraite ; si toutefois il a fallu les enfermer de force dans leur maison depuis plus d’un an ou les soumettre à des moyens de contrainte mécanique, avis doit en être