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de licence, plus de droits à payer ; mais la tutelle de l’état se manifeste encore par de nombreuses exigences : demande de placement, double certificat médical, autorisations, visites des commissioners et des juges de paix. L’inobservation, de ces règles place les délinquans, coupables de misdemeanour, sous le coup de fortes amendes et de la prison. On évalue à quatre cent cinquante le chiffre de ces pensionnaires isolés.

C’est encore à l’Angleterre que revient l’honneur d’avoir la première abordé et résolu pratiquement la question des aliénés criminels : de 1800 à 1869, son parlement n’a pas voté moins de seize lois qui s’y rapportent. Non certes que le sujet n’ait point préoccupé le législateur antique ; mais si le jurisconsulte romain en arrive à admettre l’irresponsabilité pénale du dément, celui-ci retombe dans la misérable condition du fou ordinaire, et Marc Aurèle se contente d’ordonner : « Qu’on l’enferme dans une prison,.. sa maladie est un châtiment bien assez terrible ; ., cependant observez-le de plus près, enchainez-le, si vous le trouvez bon… » En Angleterre, les premières mesures sont inspirées par des attentats contre le roi George III : le jury rend un verdict de non-culpabilité en déclarant « qu’il acquitte l’accusé, parce que celui-ci paraissait avoir été sous l’influence de la folie au moment où l’acte coupable avait été commis. » Bientôt après, une loi intervient qui consacre l’innovation, oblige le jury à expliquer les motifs de son verdict, ordonne de faire séquestrer le prévenu, pendant le bon plaisir de sa majesté, dans des établissemens d’aliénés. En 1857, le bureau des commissioners publia un rapport qui concluait à la nécessité d’un asile spécial : on avait fini par trouver déplorable cette confusion des aliénés ordinaires et des aliénés criminels ; on la jugeait humiliante pour les premiers, et d’un détestable effet moral, à cause du langage, des tendances toujours dangereuses des seconds, qu’il faut aussi garder avec plus de sévérité, qui absorbent l’attention du personnel de surveillance, et entretiennent l’idée que l’asile est une prison. Mais convient-il de jeter dans cette maison spéciale tous les aliénés criminels sans exception, d’y séquestrer, pêle-mêle avec des coquins grossiers et sans aveu, des hommes qui se distinguent habituellement par la délicatesse de leurs manières et de leurs mœurs ? Et, d’autre part, ne devrait-on pas y donner place aux aliénés à tendances criminelles ? Ces questions, soulevées par des savans tels que le docteur Bucknill et le docteur Hood, indiquent la gravité pénétrante du problème. Elles ont reçu une solution partielle grâce au bill de 1860, qui décida la création de l’asile spécial de Broadmoor, situé à douze lieues de Londres « dans une vallée heureuse » et ouvert en 1863 ; il met à la disposition du ministre de l’intérieur