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pratique, que préconisent hautement les aliénistes anglais. Rien de mieux entendu que l’organisation des bains : quelques établissemens n’ont pas reculé devant la dépense d’un véritable hammam. Et, puisque l’influence du monde extérieur sur le monde de l’âme est si sensible, puisque la mélancolie et la misère sont les plus sûrs véhicules de la folie, les Anglais s’efforcent de procurer à leurs aliénés les apparences de la gaîté et du bonheur : leurs asiles ont une grande salle de fêtes (le mot ne sonne-t-il pas étrangement en un tel sujet ? ) avec un petit théâtre ; on y joue la comédie, on donne des concerts, des bals une ou deux fois par semaine. Partout des jardinières garnies de plantes vertes, des vases de fleurs, des volières, des aquariums ; tel établissement ne contient pas moins de deux mille statuettes en plâtre. Comme dépendances immédiates, d’élégans jardins d’agrément, avec de rians parterres de fleurs, entourés de ce beau gazon qu’un écrivain comparait à du velours qui pousse ; parfois de véritables parcs ; le tout complété par une ferme qui offre aux malades le plus puissant des dictâmes : le travail de la terre.

Le trait vraiment original et distinctif de l’asile anglais, c’est la fameuse méthode de traitement connue sous le nom de no-restraint, méthode inaugurée depuis près de cinquante ans, combattue, discutée, repoussée par la plupart des aliénistes du continent et de l’Amérique, mais qui, après avoir rencontré en Angleterre de sérieux adversaires, a fini par triompher et obtenir en quelque sorte l’autorité d’un dogme, « la sainteté d’un vœu. » Ce que Pinel avait fait pour les fers, les chaînes, les liens, constamment employés avant lui, le docteur Conolly, médecin en chef de l’asile de Hanwell, tenta, en 1839, de l’accomplir pour la camisole, les entraves et les gants. En quelques mois il supprima l’usage de ces engins dans une maison de huit cents aliénés, puis, fort de cette expérience décisive, dont il avait trouvé la première application à l’asile de Lincoln, il formulait, dans une série de rapports, sa théorie, affirmant, comme un article de foi, la nécessité de condamner tout moyen de contrainte corporelle appliqué directement sur les membres des malades. Voilà la doctrine, et ceux-là même qui ne l’acceptent pas reconnaissent qu’elle a eu pour résultat de diminuer partout l’usage de la coercition mécanique. Il semble, d’ailleurs, qu’on joue ici sur les mots et que l’implacable logique des choses prenne sa revanche, réduisant les exagérations et ramenant les formules abstraites dans le cercle d’airain de la réalité. Les adversaires du système Conolly ont beau jeu à prétendre que, quoi qu’on fasse, on ne saurait bannir la contrainte du traitement des aliénés. N’est-ce pas en effet la plus grave de toutes les contraintes que de les placer dans un asile, de leur assigner dans l’asile un quartier spécial, dans le quartier une