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continue Darwin, que cet acte soit devenu instinctif, c’est-à-dire que le souvenir s’en soit transmis d’une génération à l’autre. Il ne semble pas nécessaire, d’ailleurs, de supposer que, lorsque le pompilius piqua le ganglion de sa victime, il avait l’intention de conserver longtemps sa victime vivante, ou qu’il savait que cela arriverait. Le développement des larves a pu être modifié ultérieurement par suite de ce que la proie était à moitié morte, au lieu de l’être totalement, ce qui eût nécessité un bien plus grand nombre de piqûres. » Cette réponse de Darwin nous semble admirablement esquisser la voie où pourra se trouver une explication : c’est seulement par une accommodation progressive que l’instinct des sphex a pris une forme si précise, si infaillible, si semblable en apparence à un procédé scientifique. Ce qu’on peut conclure, c’est qu’il y a là autre chose que du pur automatisme, autre chose aussi que de l’intelligence réfléchie, mais que les deux élémens combinés sous l’action et la direction constante de l’appétit, ont pu produire à la longue les merveilles qui nous étonnent.

Une dernière objection consiste à prétendre que, chez les animaux, les actes qui auraient donné naissance à l’hérédité n’ont pu être que des actes simplement accidentels, qui ne pouvaient par conséquent laisser dans l’organisme des traces héréditaires. Par exemple, Darwin explique l’instinct du coucou d’Europe, si différent de celui du coucou d’Amérique, par ce fait accidentel que des femelles ont pondu leurs œufs dans le nid d’autres oiseaux et que les oisillons, devenus vigoureux, en ont tiré un avantage. Mais comment comprendre que le fait de déposer ses œufs dans un autre nid soit devenu héréditaire ? Autre chose, objecte-t-on, est une modification d’organe, autre chose est une modification d’instinct. « La première, si légère, si superficielle qu’elle soit, fût-ce la couleur d’un plumage, est permanente et dure toute la vie : elle s’imprime d’une manière durable à l’organisme, et l’on conçoit qu’elle se transmette par l’hérédité ; mais un instinct n’est autre chose qu’une série d’actes donnés[1]. Il — Parler ainsi, c’est oublier que toute action peut s’enregistrer dans l’organisme, comme la mémoire en est la preuve. Cet enregistrement est même d’autant plus facile et d’autant plus durable que l’organisme est moins compliqué, la mémoire moins étendue et moins riche. Voyez l’enfant en bas âge, il suffit qu’il ait fait ou dit une chose une seule fois pour qu’il la répète à satiété : pour l’enfant et pour l’animal, une fois est coutume. Je connais un petit enfant qui, passant sous un pont de chemin de fer, pensa par hasard à un cheval de bois qu’on lui avait donné et dit : « Mon cheval ; » depuis ce temps, il ne passe

  1. M. Janot, les Causes finales, p. 406.