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chambre à provisions qu’il a construite et où l’embryon se développe très vite ; l’insecte rend alors visite, chaque jour, au petit vivant, et lui apporte des larves paralysées par son aiguillon. Supposez maintenant qu’un retard survienne accidentellement dans l’époque de l’éclosion de l’œuf : pour obéir à l’instinct primitif, l’hyménoptère continuera d’apporter chaque jour une larve, comme si l’œuf était éclos, et il se trouvera avoir entassé ainsi une provision de larves. Il pourra même ne pas voir son petit éclore. Que ce retard d’éclosion se transmette ensuite par hérédité, concurremment avec l’instinct d’apporter des larves, vous aurez alors des insectes faisant des provisions pour des larves qu’ils ne verront pas naître. C’est précisément ce qui a lieu chez un autre hyménoptère porte-aiguillons, l’odynerus, qui construit une chambre à provisions et la remplit de larves paralysées pour l’usage de petits qu’il ne verra pas éclore. Telle est l’explication que nous proposerions, pour notre part, de la merveille qui semble inexplicable à MM. Fabre et Janet.

Chez certains insectes, comme les pompiles, les mères ont un genre de vie profondément différent de leurs petits, car elles-mêmes sont herbivores et leurs petits sont carnivores. Elles ne peuvent donc point, par leur propre exemple, présumer ce qui conviendra à leurs enfans. Recourra-t-on ici à l’habitude héréditaire ? demande M. Janet. — « Non, répond-il ; il a fallu que cet instinct fût encore parfait dès l’origine, et il n’est pas susceptible de degrés ; une espèce qui n’aurait pas en cet instinct précisément tel qu’il est n’aurait pas subsisté, puisque, les petits étant carnivores, il leur faut absolument une nourriture animale toute prête quand ils viendront au monde[1]. » — Mais, répondrons-nous à notre tour, rien ne prouve que l’espèce ait eu besoin, à l’origine, d’un instinct « parfait et sans degrés, » ni que les larves aient toujours été exclusivement carnivores. Il est possible que certaines larves déposées accidentellement près de la chair aient réussi et grossi mieux que les autres, que leur espèce ait ainsi survécu et que leur constitution se soit adaptée à ce genre de nourriture d’une manière de plus en plus exclusive. Enfin, demander l’explication en détail de chaque instinct, c’est demander quelque chose d’exorbitant, comme si on voulait rendre compte par le menu de tous les mythes des religions antiques, ou déduire, de l’impossibilité d’une complète explication le caractère surnaturel de ces religions.

Différens hyménoptères manifestent des instincts que M. Romanes considère comme les plus remarquables du monde. M.G.-H. Fabre, qui les a le premier observés, les croit inexplicables par

  1. Les Causes finales.