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certaine variabilité, qui était plus grande à l’origine qu’aujourd’hui et qu’on a nommée avec raison la plasticité de l’instinct. Le loriot, par exemple, emploie dans la construction de son nid des fils tissés par la main de l’homme ; mais l’homme n’a pas toujours existé ni tissé : voilà donc un instinct évidemment acquis par cet oiseau. De même, sous l’influence de la domesticité, les animaux modifient leur instinct. Des chiens qui avaient été apportés jeunes en Europe de contrées telles que l’Australie et la Terre de feu, où les sauvages ne possèdent aucune espèce de poules ou de moutons, ne cessaient de les poursuivre ; les chiens civilisés, au contraire, respectent notre basse-cour : c’est un instinct acquis. En Amérique, on avait dressé des chiens à la chasse aux Indiens et on les avait accoutumés à prendre les malheureux par le ventre : c’est une habitude qu’ils ont conservée. Il y a donc des modifications apportées dans l’instinct par l’homme. On sait aussi que l’instinct originel du chien est de hurler ; son instinct acquis, possédé depuis si longtemps qu’il lui est devenu naturel, est d’aboyer. Il y a même, chez les chiens, des manies d’aboiement qui ressemblent à des tics, comme l’habitude d’aboyer autour des voitures qui passent. Il y a enfin des changemens produits dans l’instinct par les lieux : le castor d’Europe ne diffère point des castors d’Amérique, mais celui d’Amérique construit sur l’eau, celui d’Europe, qui habite les affluens du Rhône et du Danube, construit sous la terre de longues galeries, comme la taupe, pour échapper à la poursuite des hommes. Ainsi, devant la civilisation et le danger croissant d’être saisi sur les fleuves pour sa chair succulente ou sa chaude toison, le castor a changé d’instinct plus vite que de forme. A New-York, le baltimore fait un nid feutré à l’abri du froid ; à la Nouvelle-Orléans, il fait un nid à claire-voie où l’air passe librement et diminue la chaleur. Des perdrix du Canada, qui se couvrent d’un petit auvent à Compiègne, ont, sous un ciel plus doux, supprimé cet abri qu’elles jugeaient inutile. Ainsi la variabilité existe dans l’instinct, mais il faut peut-être plusieurs milliers de siècles pour qu’un changement notable se produise. Il en est des modifications de l’instinct comme de la formation de la terre ; notre globe a passé dans la suite des siècles par plusieurs époques géologiques, et l’apparente immobilité des choses aujourd’hui ne prouve nullement qu’autrefois elles n’aient pas changé.

Une fois formé, l’instinct devient une sorte de mémoire héréditaire ; il offre les mêmes caractères que la mémoire automatique et l’association automatique des idées. C’est une série de mouvemens qui, une fois commencée, tend à s’achever par les voies ordinaires. Si l’on répète quelque chose par cœur, ou si l’on joue