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de la faim et du plaisir qu’il éprouve à manger. L’instinct renferme donc tout d’abord, parmi ses élémens essentiels, un élément de conscience, l’appétit, accompagné de plaisir ou de peine ; c’est là une première raison qui empêche de le confondre avec un par automatisme. En conséquence, nous définirons l’instinct : un acte qui, ayant un résultat généralement utile, est accompli sans la représentation de ce résultat par tous les individus de la même espèce, sous l’impulsion d’un appétit et avec une émotion plus ou moins faible de plaisir ou de peine. Des fonctions absolument inconscientes pour l’animal, comme la formation des arbres de corail ou de la coquille d’un crustacé, ne peuvent être appelées proprement des instincts : ce sont simplement des résultats mécaniques accessoires.

Puisque ce qui caractérise l’instinct, c’est une tendance native à une certaine action déterminée, un appétit inné cherchant à se satisfaire, il reste à savoir ce qui provoque cet appétit. Faut-il l’expliquer par des représentations toutes formées et héréditaires, par des sortes d’images ou idées innées ? Faut-il croire, par exemple, que l’oiseau naisse avec « l’idée du nid » qui hanterait son imagination comme un rêve tendant à devenir réalité ? Cette opinion a été souvent soutenue. « Les penchans instinctifs de l’araignée, dit Müller, lui représentent, comme en une sorte de songe, le thème de ses actions, la construction de sa toile. » Cuvier a cherché des éclaircissemens à la nature de l’instinct dans celle du somnambulisme : le somnambule est obsédé par une sorte de rêve perpétuel, par une vision qui le fascine, l’entraîne et lui fait accomplir certains actes particuliers. Le somnambule n’accepte de la vie réelle que ce qui peut entrer dans son rêve et en faire partie. De plus, durant son accès, il n’exécute que les actes qui lui sont habituels. — « Le poète, a-t-on dit, ne fait pas de la musique, le musicien ne fait pas de vers, et Condillac, qui était somnambule, ne s’est jamais surpris à broder[1]. » Enfin, autre analogie, tous ces actes s’accomplissent sans réflexion. Si le somnambulisme durait toujours et s’il était inné, il sentit impossible, d’après Cuvier et ses partisans, de le distinguer de l’instinct[2]. D’après cette explication, il y aurait dans le cerveau des animaux comme une hallucination permanente : l’animal vivrait non-seulement dans le milieu que nous voyons, mais encore dans un autre milieu qui nous échappe et où il subit l’empire de suggestions analogues à celles de l’hypnotisme.

Cette théorie ne saurait nous satisfaire. D’abord, malgré certaines (1)

  1. Voyez M. Ribot, l’Hérédité, p. 34.
  2. M. Ribot, ibid.