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parcelles. Le propriétaire a concédé en tenure ce qu’il a voulu, ici ou là ; il a dû se réserver d’abord ce qui était le plus proche de sa maison et tout ce qui était en agrément ; il a pu garder aussi, parmi les terres plus éloignées, ce qui était d’une culture plus facile et d’un revenu plus sûr. Nulle règle ici ; c’est le caprice du maître ou de son régisseur qui a tout décidé. Je remarque au Digeste que la troupe des chasseurs, venatores, était comptée dans la familia urbana, c’est-à-dire parmi les esclaves attachés au service personnel du maître ; j’incline à conclure de là que les bois et les garennes étaient compris aussi dans la part réservée.

Si le fermage libre a laissé subsister à côté de lui l’exploitation directe par des esclaves, cela est encore plus vrai de la tenure servile et du colonat. Nous avons vu plus haut que le premier germe de la tenure servile avait été la concession d’un petit coin de terre à un esclave dont le maître était satisfait. Mais dans le même passage où Varron signalait cette coutume, il faisait entendre qu’un tel esclave n’en restait pas moins attaché à la culture générale du domaine. Le morceau de terre qu’on lui concédait ne le dispensait en rien de son travail. Il s’occupait de son lot à ses heures perdues ou aux jours de repos ; mais la majeure partie de son temps et de ses forces restait due au maître. La tenure servile n’a donc pas été établie pour remplacer le travail en commun ; elle s’y est ajoutée. Le même serf qui cultivait sa petite tenure cultivait aussi la terre du maître. Il était un tenancier quelques jours par semaine, et les autres jours il revenait faire partie de la familia travaillant en commun. Ce fait, qui semble d’abord peu important, a eu au contraire les plus graves conséquences pour l’histoire de nos sociétés. Nous pouvons remarquer, en effet, que le serf de la glèbe, tel que nous le verrons au moyen âge, ne ressemblera ni aux anciens serfs qu’on avait vus en Grèce ni aux serfs de la Germanie dont Tacite décrit la condition. Un trait tout spécial les caractérisera ; ces mêmes serfs qui auront une tenure à eux, seront astreints à travailler plusieurs jours par semaine sur la terre que le maître a gardée. Cette condition, particulière au servage du moyen âge, s’explique par la nature de la tenure servile des Romains, qui n’était qu’une petite concession faite à un homme demeurant esclave et qui ne supprimait pas ses obligations natives. Ainsi le servage conserva toujours la marque de l’ancien esclavage romain dont il était issu. Le petit germe décrit par Varron contient déjà en raccourci les principales règles du servage du moyen âge[1].

  1. Il en sera de même des tenures d’affranchis. L’affranchi devra aussi, outre le travail de sa tenure, quelques jours de travail sur la terre dominicale. Cela se rattache à l’obligation des operœ, qui était l’une des lois de l’affranchissement.