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seuls documens qui seraient de nature à nous renseigner, c’est-à-dire les polyptyques, les livres du cadastre, les registres de propriété, ont tous péri sans qu’il en reste Tien. Mais, deux siècles après l’empire romain, des documens de cette sorte ont été conservés ; ils sont certainement de même nature que ceux de l’époque impériale qui ont péri ; or ces polyptyques, ces documens de tradition toute romaine, nous montreront des affranchis qui sont tenanciers de père en fils et depuis longtemps. Nous y reconnaîtrons qu’ils doivent des services et des operœ, comme les affranchis de l’époque romaine, et il n’est pas jusqu’à la succession de leurs biens qui ne soit régie par des règles assez semblables à celles que le droit romain nous a montrées. Il faut nous arrêter à la simple indication de ces similitudes ; il ne me paraît pas que la pleine vérité puisse être trouvée.


VIII. — LA TENURE DE COLON.

A côté des tenures serviles et des tenures d’affranchis, il y eut, peut-être en plus grand nombre, les tenures de colons. La situation de l’homme libre cultivant le sol d’autrui a plusieurs fois changé dans la société romaine. Le fermage par contrat avait pris autrefois la place du précaire. Par une nouvelle évolution, le colonat prît la place du fermage. Le colon du IVe siècle est, le plus souvent, le descendant de l’ancien fermier. Le nom est le même. La langue a successivement appelé du même terme de « colon, » d’abord le cultivateur qui était un fermier libre, puis le cultivateur qui était enchaîné au sol. Ce n’est pas que les peuples soient convenus, quelque jour, de changer le sens du mot ; les mots sont ce qu’on change le moins dans une société. C’est l’homme qui, en gardant son nom, s’est transformé. Il avait été libre de quitter la terre ; il a cessé de l’être ; mais on lui a laissé sa dénomination de « colon, » et ce mot ancien s’est appliqué à une situation nouvelle. D’ailleurs, cette transformation de l’homme ne s’est pas faite par une loi. Elle n’a pas été édictée par un gouvernement. On chercherait en vain une telle loi dans les codes romains ; quant au gouvernement impérial, il n’eut jamais ni la volonté ni la force d’opérer une pareille révolution, qui, d’ailleurs, si l’on y réfléchit un peu, ne pouvait lui être utile en rien. Le changement du fermier en colon a été graduel, insensible, longtemps invisible. Il ne s’est pas opéré par masses, mais par individus. Il s’est accompli sur une série de personnes et de familles avant d’apparaître dans la société. Le terrain de cette révolution a été l’intérieur de chaque domaine rural.

C’est pourquoi nous la connaissons si peu. Aucun historien du