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est assez singulière et peint assez bien l’esprit romain. La difficulté à tourner était que le droit romain ne reconnaissait aucune valeur à la convention faite entre un maître et son esclave ; en sorte que, si un jour l’affranchi refusait de rendre les services convenus, le maître ne pouvait pas alléguer en justice la promesse que l’esclave avait faite. On imagina donc d’exiger de l’esclave un serment. Nouvelle difficulté : un serment d’esclave n’était pas valable en droit. On recourut alors à un double serment. Par le premier, l’esclave jurait qu’aussitôt affranchi il en prêterait un second. Le premier n’avait qu’une valeur morale, ou plutôt, suivant les idées des anciens, une valeur religieuse ; c’était certainement assez pour que le second, venant aussitôt après et dans toute la joie de la liberté nouvelle, ne fût pas refusé. Le procédé est décrit tout au long au Digeste dans un fragment du jurisconsulte Vénuleius. Cicéron y faisait déjà une allusion très claire dans une de ses lettres. C’était ce second serment qui était valable en droit, puisqu’il avait été prononcé par un homme devenu libre. Or, ce second serment contenait les conditions imposées par le maître et acceptées par l’affranchi. Dès lors, celui-ci se trouvait engagé légalement, et, plus tard, le juge pouvait annuler l’affranchissement pour ce seul motif que le serment n’avait pas été tenu. Quelquefois même le maître obligeait son affranchi à employer les formes sacramentelles de la stipulation, et l’affranchi était lié par un véritable contrat.

Les conditions insérées dans le serment ou dans la stipulation variaient beaucoup. Elles dépendaient de la volonté de chaque maître. L’affranchi pouvait s’engager à demeurer dans la maison du patron ; il pouvait s’engager à servir, soit pour un temps déterminé, soit pour toujours ; il pouvait s’engager à servir seulement le maître, ou à servir encore après lui son héritier. Souvent il promettait une sorte de redevance que l’on décorait du nom de don gracieux, donum. Plus souvent il promettait une partie de son travail, et ce travail se comptait par journées que l’on appelait operœ. Nous retrouverons ce même mot dans la suite. L’un devait fournir dix journées par an, un autre vingt, tel autre « un nombre indéterminé qui serait à la volonté du patron. » Le genre de travail dépendait des aptitudes de l’ancien esclave. L’un était laboureur, ou charpentier, ou maçon. Un autre était orfèvre, architecte, médecin, copiste, peintre, acteur, maître d’école. Tantôt le travail était fourni dans la maison même du patron où l’affranchi exerçait son métier. Tantôt il faisait son métier par la ville et il rapportait au patron une partie de ses émolumens ou de ses honoraires. Quelquefois l’affranchi tenait une boutique ou un comptoir de banque, et il devait payer au patron, soit une somme fixe par jour, soit une part de ses bénéfices.