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que, tandis que les esclaves ruraux travaillaient en troupe sur toute la terre du maître, le serf travaille isolément sur un lot de tenure et en a les profits sous des conditions déterminées. Ce genre de servage commence à poindre dans la société romaine. Il était en pleine vigueur chez les Germains. Quelques sociétés plus anciennes encore l’avaient déjà connu. Les ilotes de Sparte, les pénestes de la Thessalie, les clérotes de la Crète, probablement les thètes de l’Attique avant la réforme de Solon, avaient été de véritables serfs de la glèbe. En effet, ils avaient cultivé la terre de père en fils ; placés chacun sur un lot distinct, ils n’avaient pu ni être vendus, ni être séparés de ce champ, et n’avaient en d’autre obligation que de rendre au maître une forte partie de la récolte. Ce sont bien là les traits auxquels on reconnaît des tenanciers serfs. Par leur condition sociale, ils étaient esclaves ; par leur occupation héréditaire, ils étaient tenanciers du sol. Mais, dans l’ancienne histoire de Rome, on n’aperçoit rien de pareil. La situation des cliens primitifs ne ressemblait en rien au servage ; ils étaient légalement hommes libres, et c’est à la famille, non à la terre, qu’ils étaient attachés. Dans tout ce qu’on sait du vieux droit romain, on ne trouve aucune disposition qui puisse s’appliquer au servage de la terre. Rome ne connaissait légalement qu’une sorte d’esclavage, celui qui enchaînait l’homme à la personne du maître et le mettait à sa discrétion. C’est un fait digne d’être noté que les Romains, à mesure qu’ils conquéraient le monde, n’y aient pas établi le servage comme avaient fait d’autres peuples conquérans. On sait qu’ils s’emparèrent de la plus grande partie des terres ; on sait aussi qu’ils furent fort embarrassés de ces immenses territoires et ne surent souvent comment les mettre en valeur. Ils ne pensèrent pourtant pas à les faire cultiver par les anciens habitans sous condition de servage. C’est seulement plus tard, au temps de l’empire, que le servage commence à apparaître chez eux. Encore n’est-il jamais une condition légale. Aucune loi, aucune mesure de l’autorité publique, aucun règlement d’ensemble ne l’institue. Les lois ne le reconnaissent même pas ; vous ne trouvez ni au Digeste ni dans les codes aucun article qui le régisse. Il n’est pas une institution, il n’est qu’une pratique.

On supposerait à première vue qu’il s’est introduit dans l’empiré avec l’entrée d’une nouvelle population servile. Si l’on pouvait constater, en effet, que des multitudes de serfs germains aient été amenés dans l’empire, et si l’apparition du servage coïncidait brusquement avec leur arrivée, on aurait trouvé la date exacte et la vraie source du servage de la Gaule et de l’Italie. Mais cette constatation ne peut pas être faite. Au contraire, s’il est une vérité qui se dégage de l’état des documens et de leur silence même, c’est que ce