qui sont ses lieutenans et ses images; et le trône des rois n’est affermi que par celui de Dieu. Les déluges, la peste et la famine sont les suites que traîne après soi l’athéisme ; et quand il est question de le punir, le ciel ramasse tous les fléaux de sa colère pour en rendre le châtiment plus exemplaire. » Quelle fut la réponse du roi si directement mis en cause ? Le pamphlet de Rochemont avait été lancé au mois d’avril, et, le 14 août, Louis XIV, demandant à Monsieur la troupe de Molière, lui attribuait une pension de 6,000 livres et lui permettait de prendre le titre si envié de : Troupe du roi. Les amis de Molière ne manquèrent pas de faire sonner bien haut cette marque de faveur, très considérable en tout temps, décisive à cette heure. L’un d’eux, répondant à Rochemont, lui disait avec une ironie joyeuse : « Le roi vient enfin de connoître que Molière est vraiment diabolique, que diabolique est son cerveau et que c’est un diable incarné; et, pour le punir comme il le mérite, il vient d’ajouter une nouvelle pension à celle qu’il lui faisoit l’honneur de lui donner comme auteur, lui ayant donné cette seconde, et à toute sa troupe, comme à ses comédiens. » Il n’en restait pas moins que Don Juan excitait, lui aussi, des alarmes, feintes chez quelques-uns, sincères chez beaucoup. Louis XIV voulut tenir la balance égale, et, tout en consolant Molière, rassurer les croyans centristes : la pièce quitta l’affiche en plein succès, après quinze représentations, très probablement sur un désir du roi, et elle ne fut pas imprimée, bien que Molière eût pris un privilège.
Malgré l’interdiction persistante de Tartufe et l’arrêt de Don Juan, l’adoption de la troupe de Molière par le roi marque l’apogée de faveur dont je parlais au début de cette étude, et l’on peut apprécier dès maintenant le caractère de cette faveur.
Il faut d’abord tenir compte de l’état de l’opinion à l’égard de Molière : sa profession et le caractère de ses œuvres mettaient, aux yeux des contemporains, une différence notable entre les autres poètes et lui. Si notre temps possédait un Molière, le poète-comédien irait de pair, dans toutes les relations sociales, avec ce que la littérature compte de plus distingué. Les puissances s’honoreraient de lui faire accueil et la société polie le rechercherait, avec ce double attrait qui la porte vers la littérature et l’art, mais qui lui inspire une curiosité si vive pour tout ce qui touche au théâtre. Au XVIIe siècle, l’acteur pouvait être admis à la familiarité, mais il était exclu du respect. L’acteur comique, surtout, celui qui excitait le rire,