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s’était adressé à un autre, qui pensait et agissait tout autrement. N’est-ce pas ainsi que, de nos jours, on va chez l’homéopathe ?

Quant à la maladie dont il souffrait, il n’est pas facile de le savoir exactement, et les médecins de notre temps ne s’entendent guère plus à ce sujet que leurs devanciers du XVIIIe siècle : l’un conjecture un anévrisme, un autre la phtisie. Ce qui est certain, c’est que son mal siégeait dans la poitrine, qu’il avait une toux continuelle, des oppressions, des extinctions de voix, enfin que, par surcroit, il souffrait de l’estomac, et sur la fin de sa vie, ne pouvait plus se nourrir que de lait. Ce qui parait aussi certain, c’est que, à ces maux physiques, vint se joindre une affection morale, l’hypocondrie. Je m’empresse de dire qu’on ne saurait comparer le cas de Molière à celui de Swift ou de Jean-Jacques Rousseau, qui, à un moment de leur existence, furent véritablement des fous, et mirent dans leurs œuvres, surtout le second, quelque chose de leur folie. Bien qu’elle soit du ressort des aliénistes, l’hypocondrie, disent-ils eux-mêmes, se concilie très bien avec l’intégrité des facultés intellectuelles ; il n’y a avec elle ni lésion cérébrale ni dissociation des idées ; elle consiste simplement dans un état d’anxiété douloureuse, provoquée par une maladie réelle ou imaginaire, et qui tourmente cruellement ses victimes, sans les frapper au siège même de l’intelligence. Parmi ses causes, les maladies de l’estomac viennent en première ligne, puis l’excès de sensibilité, les préoccupations morales, les fatigues d’une existence trop occupée. Toutes ne se trouvaient-elles pas réunies chez Molière ? L’hypocondriaque professe à l’égard de la médecine tantôt une confiance exagérée, tantôt un scepticisme absolu ; assez souvent, il commence par celle-là pour finir par celui-ci ; mais, sceptique ou confiant, il s’occupe beaucoup de médecine, fit avec passion des ouvrages médicaux, recherche la conversation des médecins. Après les praticiens-ordinaires, il lui faut les spécialistes, puis les faiseurs de réclames, enfin les charlatans. Ces états divers de la maladie, Molière semble bien les avoir tous parcourus. Pour faire parler et agir les médecins comme il l’a fait, il dut en voir de toutes sortes, comme aussi, pour disserter sur la médecine de son temps avec une précision admirée par Maurice Raynaud, il faut qu’il l’ait étudiée et de très près.

Ces médecins ne purent manquer de lui signaler, outre ses maux physiques, le mal moral dont il souffrait. Prit-il leur avis au sérieux, s’en moqua-t-il ? En tout cas, il était assez préoccupé de l’hypocondrie pour instituer dans Monsieur de Pourceaugnac une longue consultation où elle est décrite avec une complaisance singulière. Quant au Malade imaginaire, ce n’est, comme nous l’avons vu tout à l’heure, que la description d’une forme de l’hypocondrie