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fussent alors de règle : une seule, adressée à Monsieur, en tête de l’École des maris, est vraiment à regretter, car il y a forcé les deux règles du genre : l’humilité et la flatterie ; en revanche, il y en a une, celle de la Critique de l’École des femmes, à la reine mère, qui est un chef-d’œuvre de tact et d’habileté. Spéculant sur la piété d’Anne d’Autriche, on le représentait comme un parodiste des choses saintes, on l’accusait de « lasser tous les jours la patience d’une grande reine continuellement en peine de faire réformer ou supprimer ses ouvrages. » C’est à la même Anne d’Autriche qu’il dédie sa défense, et, de la sorte, il se fait une alliée de celle qu’on veut lui susciter comme ennemie. Sa manière de se défendre dans la Critique, dans l’Impromptu, dans les placets et la préface de Tartufe, est encore un modèle. Il se couvre en découvrant l’adversaire, il s’engage à fond en se ménageant toujours une retraite et des retours offensifs. S’il a de l’impatience, il la maîtrise et n’en laisse paraître qu’un frémissement de passion et de colère qui sont d’un puissant effet. Les argumens solides, topiques, il les présente avec une force qui les rend irrésistibles ; les points faibles, il les masque habilement ; il évite tous les pièges semés sur le terrain où il manœuvre. Partout une sûreté de raisonnement qui dénote son philosophe nourri de logique. Est-il toujours bien sincère, ainsi, lorsqu’il repousse énergiquement le reproche de faire des personnalités, lorsqu’il proteste de son respect pour la médecine, la religion, les puissances établies ? Ceci est une autre affaire : j’aurai tout à l’heure à parler de ses sentimens religieux et de son opinion sur la médecine ; mais, je crois, s’il était bon royaliste, qu’envers les gens constitués en dignité il ne péchait point par excès de respect intérieur. Aussi, dans sa façon de discuter contre ce qui l’inquiète, le menace ou le gêne, y a-t-il parfois un peu de subtilité sophistique et de spécieux.

Pour sa morale et sa conception de la vie, c’est encore son théâtre qui peut nous en donner la clé. Les auteurs dramatiques de tous les temps, qu’ils le veuillent ou non, ne pratiquent pas leur art comme chose purement objective ; tous y mettent plus ou moins de leur âme. Le chœur, le prologue, quelque personnage secondaire était jadis l’interprète de leur philosophie ; les comiques modernes ont les raisonneurs, dont tous ont usé, quelques-uns abusé. Ceux de Molière, par la synthèse de leurs traits divers, représenteraient assez bien son propre caractère. Il n’est pas tout l’un ou tout l’autre, il n’avait pas le sang-froid de celui-ci, le parfait équilibre de celui-là, mais dans tous et chacun il a mis quelque chose de lui-même. Si donc on essaie de dégager leur commune physionomie morale, on leur trouve beaucoup de tolérance et d’indulgence pour les faiblesses de notre nature, la conviction que la vie est bonne en elle-même et