Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/812

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« civil et honorable dans toutes ses actions, » dit Chappuzeau, « parfaitement honnête homme, » ajoute La Grange, qui s’y connaissait, « d’une droiture de cœur inviolable, « répète Grimarest, sur le témoignage de Baron.

Enfin, si nous sortons du monde des lettres, des arts et de la science, où il est naturel que Molière ait eu ses principales relations, pour revenir à la haute société, nous y trouvons des amis de Molière, et de tout degré. Il était assidu chez Ninon de Lenclos, dont la liberté d’esprit le mettait tout à fait à l’aise ; il la consultait fréquemment et profitait beaucoup de ses avis, la tenant pour « la personne du monde sur laquelle le ridicule faisait la plus prompte impression. » Il l’aurait eue pour collaboratrice dans la cérémonie du Malade imaginaire, composée, paraît-il, au cours d’un dîner qui comptait deux autres convives de marque, Boileau et Mme de La Sablière. Le même maréchal de Vivonne, dont Boileau mettait l’estime à si haut prix, était aussi l’ami de Molière, et Voltaire va jusqu’à dire qu’il « vécut avec lui comme Lélius avec Térence. » Enfin, le poète trouvait près du grand Condé protection, défense et cordial accueil. Lui-même nous a conservé la spirituelle réponse faite par le prince à Louis XIV, sur la sévérité des dévots pour Tartufe et leur indulgence pour une pièce vraiment impie, Scaramouche ermite. Selon Grimarest, Condé « envoyait chercher souvent Molière pour s’entretenir avec lui, » et il lui aurait dit un jour : « Je vous prie, à toutes vos heures vides, de venir me trouver ; faites-vous annoncer par un valet de chambre ; je quitterai tout pour être à vous. » Il déclarait, en effet, ne s’ennuyer jamais avec un homme dont la science et le jugement étaient inépuisables. Louis XIV ayant tenu le même langage à Racine et à Boileau, on peut admettre que le prince, obligé à moins de réserve que le roi, fut aussi bienveillant pour Molière. On aime à trouver ainsi l’auteur du Misanthrope dans ce cortège de nobles esprits qui font à distance si belle figure autour du grand Condé.


III

Après la vie mondaine de Molière et ses relations d’amitié, tâchons de pénétrer jusqu’à sa vie intime et de surprendre l’homme lui-même avec son caractère et son humeur. De même que sa personne physique est généralement regardée comme un type de beauté, un lieu-commun déjà vieux le comble de toutes les vertus morales. Celui-ci a plus de raisons d’être et s’appuie sur des autorités moins contestables que l’autre. Nous avons déjà vu les éloges que La Grange, Chappuzeau et Grimarest donnent à ses qualités de cœur ; Grimarest confirme les siens par une quantité d’anecdotes