Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/804

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le Molière jeune exposé par M. Icard au Salon de cette année. Et, si des œuvres d’art on descend aux plus simples images, portraits des éditions courantes, estampes populaires, bons points d’écoles, etc., c’est toujours la répétition plus ou moins lointaine du buste de Houdon que l’on a sous les yeux. Ce Molière est à la fois si général et si présent au souvenir de tous, qu’il provoque des attributions très fantaisistes. On ne peut plus découvrir un portrait ancien, à petites moustaches, à grands cheveux et à traits accentués, sans le baptiser aussitôt du nom de Molière : ainsi la belle toile léguée par Ingres au musée de Montauban, et qui représente qui l’on voudra, sauf l’auteur du Misanthrope. Il n’est pas de galerie privée un peu notable, où ne figure quelque tableau ainsi dénommé, toujours authentique, à en croire le propriétaire, et très supérieur comme ressemblance à tous les portraits connus. Celle d’un ancien commandant du génie, H.-A. Soleirol, mérite sous ce rapport une mention particulière : on n’y comptait pas moins de cent vingt-neuf peintures et dessins*consacrés à Molière, tous originaux, cela va de soi ; le digne commandant, proie sans défense pour les brocanteurs, achetait tout ce qu’on lui apportait, adoptait toutes les attributions, et en inventait lui-même au besoin. Presque aussi dénué de critique, quoique érudit de profession, Paul Lacroix se montrait cependant un peu moins large : dans son Iconographie moliéresque, il n’admettait, comme originaux, que vingt-cinq portraits peints et neuf gravés.

Ce serait encore beaucoup : mais deux critiques d’art plus éclairés et moins enthousiastes, MM. Henri Lavoix et Emile Perrin, réduisent notablement ce chiffre : le premier conclut qu’une dizaine de ces portraits peuvent être considérés comme documens ; deux seulement ont paru au second dignes d’une étude détaillée. Ces deux toiles élues se trouvent, l’une à la Comédie-Française, dans le foyer des artistes, l’autre au château de Chantilly, dans la galerie de M. le duc d’Aumale. D’ordinaire, on les attribue toutes deux à Mignard, qui, à partir de 1657, fut en relations d’amitié avec Molière ; M. Emile Perrin ne lui laisse que la première et revendique la seconde pour Sébastien Bourdon. Avec un peu moins d’éclectisme que M. Lavoix, un peu plus que M. Perrin, on pourrait joindre à ces deux toiles, qui sont des œuvres d’art de premier ordre, une estampe grossière, signée Simonin, dont la Bibliothèque nationale possède le seul exemplaire connu ; le Molière compris dans un tableau anonyme, assez ordinaire, peint en 1670 et représentant les Farceurs français et italiens depuis soixante ans, qui appartient aussi à la Comédie-Française ; et les figures très médiocres dessinées par Brissart et Sauvé pour l’édition de Molière publiée en 1682. L’on aurait ainsi tous les élémens nécessaires pour se faire une idée juste de la