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MOLIERE

L'HOMME ET LE COMEDIEN.

Autant peut-être que l’histoire de sa vie et la critique de ses œuvres, la personne de Molière a souffert de l’enthousiasme déclamatoire et de l’esprit d’à-peu-près. C’était inévitable : la tendance qui portait à mettre du romanesque dans toutes ses actions et à tout amplifier dans son génie pouvait-elle l’épargner lui-même ? En ceci comme dans le reste s’est donc formée une légende qui conduit à un double écueil, l’admiration béate ou le dénigrement par réaction, et qui pèse lourdement sur le sujet, car il faut la subir ou la combattre. Elle est d’autant plus fâcheuse qu’au lieu d’embellir son objet, elle finirait, si l’on n’y prenait garde, par le rendre ridicule. On lui doit, en effet, un certain nombre de développemens dans le genre de celui-ci : « Presque toutes les têtes de l’histoire ancienne ou moderne ont une analogie plus ou moins lointaine avec quelque race animale ; Molière ne ressemble à aucun type de la création inférieure. Il est véritablement formé à l’image de Dieu, suivant le symbole de la Genèse. Et comme les Athéniens recommandaient à leurs femmes, afin qu’elles procréassent de beaux enfans, d’orner leurs maisons avec les statues des gladiateurs et des héros, de même on pourrait conseiller aux matrones de notre temps de placer dans leurs alcôves le portrait de Molière. Les générations futures y gagneraient sans doute en beauté physique et morale[1]. » Voilà

  1. Th. Thoré, Salon de 1847, Introduction. Je n’ai pas en besoin de chercher longtemps ce morceau ; il a été plusieurs fois reproduit et avec éloges.